Daigu Ryokan (1758-1831)


 

LE VENERABLE DAIGU RYOKAN 
MOINE BOUDDHISTE ZEN SOTO 
(1758-1831)
SA VIE, SES POEMES ZEN, SA CALLIGRAPHIE EXPOSENT LA REALITE D’UN EVEILLE.

Maître Ryokan est un modèle de moine bouddhiste Zen Soto accompli.

Maître Ryôkan est connu pour avoir composé des poèmes zen fondés sur le quotidien de sa vie d’ermite, mais on connaît peu chez nous la profondeur de ses enseignements bouddhistes. Sa maîtrise des poésies chinoise (kanshi) ou japonaise (waka) lui ont permis de produire plus de mille quatre cent quarante poèmes longs et courts (tanka) et de « haiku ».

Son nom d’ordination monastique « Ryôkan » 良寛 signifie « bon et tolérant » ce qui a été la ligne de conduite de sa vie. Le nom doctrinal « Daigu » 大愚 « grand naïf  » donné lors de sa certification par son maître Kokusen est au sens positif de l’idéogramme GU 愚 : « celui qui prend les choses comme elles viennent et s’en satisfait à l’instar d’un nouveau-né. » Ce nom ne porte aucunement le sens péjoratif ou ridiculisant de « fou » ou « idiot » que lui donnent ceux qui ne connaissent pas la vie de ce grand sage.

Maître Ryôkan n’était pas fou du tout. Il était un vrai moine qui s’efforçait en son époque et dans sa région de suivre au plus près possible le mode de vie enseigné par le Bouddha Shakyamuni !

Maître Ryôkan était loin d’être un idiot. Il ne faut jamais perdre de vue qu’adolescent il a fait des études complètes, dont celles classiques de la langue chinoise. Puis au cours de ses seize années de monastère il a approfondi sa connaissance des textes bouddhistes. Il connaissait les sutras et en particulier il a commenté en poèmes le Sutra du Lotus. Il avait parcouru le Japon pour visiter les temples Soto Zen dépositaires des divers chapitres de l’œuvre de maître Dôgen – le Shôbôgenzô – qu’il a étudiés et recopiés de son propre pinceau.

Il doit son style didactique candide et léger au poète chinois Han Shan, un moine zen du VIIIe siècle qui lui a servi de modèle de vie. Comme ce dernier, Ryokan s’amusait de l’image d’idiot qu’on lui prètait. Il en profitait pour partager sa liberté d’éveillé. Son mode de vie était rare déjà à son époque. Il est fort peu courant en effet qu’un fils de bourgeois devenu moine abandonne les avantages de « chef des moines » (jap. shuso) au sein du clergé d’un grand temple. La succession manquée de son maître au temple Entsuji de Tamashima a été pour lui l’occasion de prendre sa liberté. Il n’avait pas pu prétendre à cette charge d’abbé car il était seulement en troisième position successorale et qu’il manquait en outre, selon le règlement, de quatre ans d’ancienneté.

Et avait-il vraiment le goût des responsabilités d’une charge ? L’aurait-il vu comme un obstacle au libre cours de son « aspiration à l’éveil » ?  Les concessions sociétales d’un abbé d’un grand temple sont parfois des étouffoirs de l’ardeur à la discipline de la pratique et peuvent faire obstacle à la libération spirituelle (nirvana) dans le dénuement.

Quoi qu’il en soit, à partir de cette époque, il est retourné dans la région de sa ville natale Izumozaki dans la province d’Echigo (région de Niigata). Il y a vécu en ermite pendant trente ans sur le Mont Kugami dans le célèbre ermitage Gogoan, et aussi provisoirement au pied de cette montagne dans un entrepôt du sanctuaire shintoïste Otogo.

La qualité de sa calligraphie révèle sous son pinceau l’innocence de son coeur, sa candeur et son lâcher-prise de l’ego, développés en lui par le libre-cours donné à la perfection de sagesse et la compassion.

Être dans les toutes petites choses

un nouveau livre sur Ryokan, par Dominique Blain

Il y a quatre ans, Dominique Blain, moine zen, s’est glissé dans la peau de Ryokan, célèbre ermite, moine zen et poète de la fin de la période Edo. Le résultat, Ryokan, L’oublié du monde, sortira en novembre 2007 chez éditions Les Deux Océans.

Zen Road a parlé avec l’auteur de son œuvre et de sa pratique.


[Couverture du livre « Ryokan, L’oublié du monde » de Dominique Blain (Éditions Les Deux Océans), montrant un moine errant qui marche dans des flames ou des feuilles rouges sous une grande lune blanche. Dessin par Guyseika]

Zen Road : Pourquoi Ryokan ?

Dominique Blain : C’est quelqu’un qui, pour moi, représente la plus belle intelligence de l’homme. C’est un simple moine, ermite, mendiant, libre de tout. Il n’enseigne pas par les paroles usées des anciens textes. Son enseignement est vivant. Il joue avec des enfants, et sa vie va toujours vers l’essentiel. C’est quelqu’un qui ne fait pas de compromis, qui se dépouille de lui-même, avec un esprit sans dualité, un esprit d’enfant. Je trouve ça très beau.

ZR : Comment avez-vous structuré le récit de la vie de cet homme ?

DB : Je fais parler le personnage. Je le présente, il parle et il y a des textes de lui. Le but c’était de totalement se mettre dans la peau de Ryokan — c’est très difficile. Il faut lire énormément, s’imprégner de l’homme, c’est ce qui m’intéresse dans l’écriture : me mettre à la place des personnes. En lisant les livres, petit à petit je me suis imprégné de lui, et je l’ai fait parler. Je me suis lancé en essayant de ne pas trop le trahir, et, comme lui, de me dépouiller pour vivre le personnage en lui-même, à travers l’écriture.

ZR : Que voudriez-vous exprimer en tant que Ryokan ? Qu’avez-vous à dire à son sujet ?

DB : Il y a déjà pas mal de livres sur Ryokan ; mais j’étais un peu frustré, parce qu’à chaque fois que j’en lisais un, je me disais qu’il y avait une facette de l’homme, mais pas l’ensemble de sa personnalité. Le seul livre qui existe sur Ryokan « en entier » c’est un livre purement historique, ce sont des dates avec des choses que Ryokan a faites ; mais je n’y ai pas trouvé le charme de la poésie du personnage. Il n’existe pas de livre où l’on retrace toute la vie de Ryokan avec ses textes essentiels. Donc, dans mon ouvrage, je voulais mettre de la poésie puisqu’il était poète, mettre ses textes qui me semblaient essentiels et retracer sa vie d’une façon agréable à lire.

[Six lignes verticales de la calligraphie fluide de Ryokan, encre noir sur papier beige décoré des feuilles brun roux décolorées]

ZR : Est-ce que votre pratique de zazen a joué un rôle dans ce projet ?

DB : La pratique est essentielle. Le fait de faire zazen et d’entendre. Il y a tout l’enseignement de Philippe [Coupey] qui s’inscrit. Quand on entend un kusen [enseignement oral donné pendant zazen], ce n’est pas de la lecture comme on lit un livre. C’est un enseignement qui est véhiculé, pas seulement à travers un état d’esprit, mais également à travers la voix, le son, les os, la chair, le sang ; bref une présence. C’est tout ça que le maître véhicule, ce n’est pas simplement quelque chose d’intellectuel. Cela s’inscrit en nous pendant zazen, qu’on le veuille ou non et par la suite, cela se transmet dans l’écriture.

C’est également tout une vie, tout un « karma » que je trimballe depuis que je suis tout jeune, bon ou mauvais. C’est du concret. Tu mets obligatoirement ce que tu es, ce que tu ressens dans ce que tu dis ou ce que tu écris.

ZR : En écrivant ce livre, est-ce que vous avez découvert quelque chose, est-ce qu’il y avait des surprises, soit à propos de Ryokan, soit à propos de vous-même ?

DB : La grande surprise, c’était qu’à force de me mettre dans la peau du personnage de Ryokan, je suis tombé amoureux de Taishin ! Elle m’a totalement fait fantasmer. Ryokan a 70 ans, il tombe amoureux de Taishin, qui a autour de 40 ans, et il vit cet amour passionnel avec cette femme. On ne sait pas du tout s’il a consommé ou pas, ce n’est pas la question ; mais ils semblent avoir eut une relation passionnelle jusqu’au bout, jusqu’au dernier jour. Ils s’écrivent des poèmes magnifiques qui sont repartis dans le livre.

Autrement, la chose qui m’a le plus marqué chez Ryokan, c’est qu’en fait c’est un homme qui n’enseigne pas. C’est sa vie qui enseigne. Il transpire le zen, il transpire la Voie.

Ce qui m’intéresse, c’est « la vie » comme dirait Deshimaru, ce n’est pas ce qui est marqué sur papier. Un enseignement intellectuel n’a aucun intérêt. Ce qui m’intéresse, c’est la chair des gens, c’est l’esprit des gens, c’est la souffrance des gens, la joie des gens, ce n’est pas une objective de dépassement de soi. Ce qui m’intéresse, c’est ce que les gens vivent tous les jours, et Ryokan, c’est ça : c’est la vie de tous les jours, c’est jouer avec les enfants, c’est rencontrer les gens sur le pas de la porte et discuter de tout et rien.

ZR : Pensez-vous que ce type de vie est toujours possible ?

DB : Oui oui. Pour moi, le zen est une façon d’être dans les toutes petites choses. On peut dire, « Tiens, je vais sauver le monde, » ou « je vais aller aider les gens en Afrique » — c’est très très bien, je ne critique pas du tout. Mais dans les petites choses de tous les jours dans la vie, on a constamment l’opportunité de mettre en pratique l’enseignement de Philippe, l’enseignement zen. Je prends un exemple tout bête : rentrer dans un magasin et dire bonjour. Ou, quelqu’un qui est pressé : laisser passer. Ça paraît anodin, mais c’est totalement ça. À chaque instant on doit faire attention pour respecter à la fois les autres et soi-même. Donc à chaque minute de la vie, on peut faire attention à ce qu’on est et comment essayer de vivre en harmonie avec les autres. Pour moi, le zen c’est ça, c’est l’essentiel.


Extraits du livre Ryokan, L’oublié du monde
par Dominique Blain

Alors qu’ils ne serviront que très peu, six noms lui seront donnés. « C’est beaucoup pour une seule vie » se dira-t-il plus tard.

Nommer les personnes, ce n’est que les apercevoir. Se rencontrer réellement, c’est poser son regard sans les mots, avec l’esprit de celui qui ne sait rien, qui a tout à découvrir de l’autre. C’est s’exposer et se risquer dans la simplicité de l’être.

Le premier nom est donné par la mère : Eizo, « abri de prospérité ».

Le père acquiesce et se retire. Le deuxième, par coutume religieuse à la sortie de l’adolescence (quinze ans pour les garçons, treize pour les filles) : Bunkô ou Fumikata.

Le troisième par son maître : Ryokan, « bon, bienveillant, vaste et généreux ». Le quatrième, par plaisir : Taigu, « le grand fou ».

Le cinquième, par les villageois : Temari-shônin, « Révérend de la balle ». Le sixième : le Corbeau (à cause de son teint se rapprochant de la couleur noire de son habit).

D’autres noms lui sont associés, moins usités : « le juste », « jamais dédaigneux », employés lorsqu’il vivra en communauté ou lors de ses pérégrinations, ou encore, beaucoup plus rarement : « l’éternel méprisé » (par les intellectuels hautains).


[Portrait à l’huile de Ryokan de Jean-Claude Reikai Vendetti (1946-2001). Le moine est représenté avec une sourire, une fleur blanche sur l’épaule, sur un fond bleu]

Le drame de Ryokan (si l’on ose dire), c’est qu’il ne se raccroche à rien. Sans qu’il s’attende un jour à toucher le fond, chaque instant de la journée est comme le vide d’un précipice. À sa naissance, il a dû glisser sur une pierre humide de rosée au bord d’un ravin, sans avoir eu le réflexe de se retenir…

Il est conscient d’être idiot et l’annonce ouvertement. C’est sans doute des paroles aussi vraies qu’aucune personne sensée ne s’aventurerait à prononcer pour elle-même, sans s’en sentir aussitôt réellement concernée. C’est ce qui fait l’intelligence de Ryokan. Il s’éveille à la seule joie de vivre. Il ne s’occupe plus de lui-même. À force de s’abstenir, Ryokan en devient minuscule, caché, ce qui en fait sa grandeur. Lui ne le sait pas.

Il peut s’enfouir des heures durant dans les hautes herbes, et recevoir toute la rosée du matin, la plus pure, la plus délicate, lire, dessiner sous les feuilles à l’abri du soleil, sans se rendre vraiment compte du temps qui passe. Les petites choses deviennent grandes, lorsqu’on les regarde simplement grandir d’elles-mêmes, en dehors du temps. Voir, toucher, intervenir, serait comme une forme d’indécence contre nature, comme une interposition entre un enfant et son rêve. La vie de Ryokan est comme celle d’un gamin qui s’est échappé de la tutelle de ses parents pour la journée, et s’est réfugié dans une grotte afin, de l’intérieur mieux voir la lumière. Lorsque l’on est presque dans le noir, au bout d’un moment la lumière apparaît progressivement sans que l’on s’y attende, et finit par prendre toute la place. Aussi lent soit-il, sa journée est traversée comme l’éclair, qu’il ne voit que dans l’instant, un instant de grâce. Si on lui demandait ce qu’il fait dans sa vie, ou ce qu’il fait de sa vie, il répondrait : Je la laisse passer. Ce n’est pas ne rien faire, loin de là. C’est le travail immense de l’instant. Chaque minute, chaque seconde compte, je témoigne de cela. Il n’a de compte à rendre à personne, sauf peut-être à lui-même…

C’est un moine oublié du monde…

Ce qu’il sait, il ne le dit pas. Ce qu’il ne sait pas, il l’observe, sans définir quoi que ce soit. Il ne vit pas sa vie pour qu’on l’entende, mais pour laisser entendre la vie. La parole est comme une épine sur le rosier du cœur. Comme la rose, la seule utilité de Ryokan est sa présence silencieuse. Son parfum est là pour nous accompagner tout le long du chemin, non pour être retenu. Mourir à soi-même, c’est un peu retrouver l’essence d’avant sa naissance… Il y a les personnes qui sont pleines d’elles-mêmes et celles qui sont vides, ce sont les mêmes, pourquoi des différences ?… La souffrance n’épargne personne, les purs et ceux qui ne le sont pas. La pureté, c’est peut-être simplement la joie d’exister.


Une froide soirée dans ma cellule vide, 
Le temps s’enfuit comme la fumée de l’encens. 
Au dehors, des milliers de bambous, 
Au dessus de mon lit, combien de livres ?…

La lune vient blanchir la moitié de ma fenêtre. 
De tous côtés, on n’entend que le chant des insectes. 
Dans tout cela, il y a une émotion sans limite… 
Mais dès qu’on l’aperçoit, les mots disparaissent.

Mille sommets sont figés par la neige glacée. 
Sur dix mille sentiers, cesse la trace de l’homme. 
Jour après jour, je ne fais que m’asseoir face au mur.

 

Source www.zen-road.org

Soeur Emmanuelle (1908-2008)


« Acharnons-nous pour que l’Homme soit partout respecté »

BIOGRAPHIE SOEUR EMMANUELLE

Sœur Emmanuelle, née Madeleine Cinquin le 16 novembre 1908 à Bruxelles (Belgique) et morte le 20 octobre 2008 à Callian (Var, France), souvent surnommée la « petite sœur des chiffonniers » ou « petite sœur des pauvres », est une enseignante, religieuse et écrivain.

Elle est connue pour ses œuvres caritatives en Égypte auprès des enfants et des plus démunis et est un symbole, dans l’opinion française, de la cause des déshérités. Née d’une mère belge et d’un père français, elle possède ces deux nationalités. En 1991, le président Moubarak lui a accordé la nationalité égyptienne en remerciement de son œuvre au Caire.

À son entrée chez les religieuses de Notre-Dame de Sion, elle prend le nom de Sœur Emmanuelle mais se fait appeler Mère Emmanuelle par ses élèves. C’est sous ce nom qu’elle se fait connaître des médias et devient très populaire dans l’opinion publique, apparaissant régulièrement en tête des classements des personnalités préférées des Français.

 A 20 ans, la jeune Belge décide de rentrer au couvent et prononce ses voeux trois ans plus tard dans la congrégation de Notre-Dame-de-Sion. Son dévouement insatiable l’amène à devenir professeur de lettres et de philosophie en Egypte,Turquie et Tunisie. C’est en 1971, à l’âge de la retraite, qu’elle décide de se mettre au service des exclus. Elle oeuvre sans répit dans la misère quotidienne jusqu’à fonder, alors qu’elle a 74 ans, une association baptisée Association soeur Emmanuelle (ASMAE) pour professionnaliser ses actions et assurer sa relève. Celle-ci aide aujourd’hui plus de 60.000 enfants du monde entier. Jamais rassasiée, à 93 ans elle aide des SDF en majorité algériens dans un centre situé près de Fréjus, avec l’association Les Amis de Paola. Son courage et sa générosité sont récompensés en 2002 avec sa promotion au grade de commandeur de la Légion d’honneur puis l’élévation à la dignité de grand officier en 2008. Par sa générosité et sa tolérance, soeur Emmanuelle sait remporter le soutien de nombreuses personnalités. Elle n’a jamais hésité à médiatiser ses révoltes à la télévision même si son franc-parler dérange quelquefois les catholiques rigoureux. Elle tutoie facilement et pense que c’est dans l’action que se vit la chrétienté.  Icône emblématique de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, elle reste l’une des personnalités préférées des Français.

Citations : 

« On ne possède pas le bonheur comme une acquisition définitive. Il s’agit à chaque instant de faire jaillir une étincelle de joie. Ne l’oublions pas : « Sourisau monde et le monde te sourira. »  »

« Partout et toujours, cherche sans te lasser le remède qui soulage, sèmel’espoir : ça vivifie et ton amour peut faire des miracles.  »

« La vie, c’est comme les vagues, c’est comme l’écume, tout se disloque, touts’en va, tout se perd.  »

Témoignages :

Et pour finir voici quelques images d’un bonheur simple d’un être en paix et toujours partant….

L’abbé Pierre (1912-2007)


L'abbé Pierre

« Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière.  »

Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre, (né le 5 août, 1912 à Lyon, France) est un prêtre français, fondateur en 1949 d’Emmaüs, une organisation pour les pauvres et les réfugiés.

Enfant d’une riche famille aisée et pieuse de soyeux lyonnais, son père, homme de bonté, visait les plus démunis, emmenant parfois ses enfants, au nombre de sept, dont il est le troisième. À 12 ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des Hospitaliers Veilleurs, où les bourgeois se font coiffeurs barbiers pour les pauvres.

À 16 ans, il veut se faire franciscain, cependant il devra attendre 17 ans et demi. À ce sujet il déclara « On me disait beau gosse, peut-être même un peu mondain, pourtant, le lendemain je serai moine ».

En 1931, il renonce à tout héritage et entre chez les capucins. En religion, Henri Grouès devient frère Philippe. En 1932, il entre au cloître au couvent de Crest. Il est ordonné prêtre en 1938. En avril 1939, il devient vicaire à Grenoble.

Vient la Seconde Guerre mondiale, où il est mobilisé comme sous-officier dans le train des équipages, en décembre 1939.

En juillet 1942, deux juifs pourchassés lui demandent de l’aide. Il découvre alors les persécutions et s’engage immédiatement, apprend à faire les faux papiers. Dès août, il commence à faire passer des juifs en Suisse.

Il participe à la création de maquis dans le Vercors et la Chartreuse.

Il aide les réfractaires au Service du travail obligatoire (STO). Il prend le nom d’Abbé Pierre dans la clandestinité. En 1944, il passe en Espagne, puis rejoint Charles de Gaulle à Alger.

Il devient une haute figure de la Résistance.

Après la guerre, il est député de Meurthe-et-Moselle aux deux Assemblées nationales constituantes (1945-1946), comme indépendant apparenté au Mouvement républicain populaire (MRP), puis à l’Assemblée nationale de 1946 à 1951, où il siège au groupe MRP.

En 1947, il est vice-président de la Confédération mondiale, mouvement fédéraliste universel. Avec Albert Camus et André Gide, il fonde le comité de soutien à Garry Davis, citoyen du monde.

Il fonde en 1949 l’association Emmaüs (du nom d’un des épisodes des évangiles) d’aide aux déshérités, particulièrement aux sans-abris. Il commence ainsi, dés 1950 par la communauté d’Emmaüs Neuilly-Plaisance.

Les communautés Emmaüs se financent par la vente de matériels et d’objets de récupération et construisent deslogements. C’est une organisation laïque. Le parlementaire quitte l’enceinte du Palais-Bourbon, le soir venu pour aller rejoindre les gueux, les miséreux. 

Grand sportif, il n’hésitera pas à faire des plongeons spectaculaires pour attirer l’attention du public et des médias.

En 1952, il participera au jeu « Quitte ou double » pour alimenter financièrement son combat, où il gagnera 254 000 francs.

L’abbé Pierre acquiert sa notoriété à partir du très froid hiver de 1954, meurtrier pour les sans-abris pour une «insurrection de la bonté». «Il y a 50 ans, tous sortaient à peine des atrocités de la guerre. Tous avaient dû fuir, chacun se sentait proche des réfugiés. Les gens se rappelaient la souffrance et la peur. Ils étaient davantage prêts à réagir. Mais on ne renouvelle pas des faits historiques comme celui-là.»

Le jeune prêtre lançait le 1er février 1954 un appel sur les antennes de Radio-Luxembourg (RTL) : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre les hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous en prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France, merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : 500 000 couvertures, 300grandes tentes américaines, 200 pöêles catalytiques. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse, ne couchera ce soir sur l’asphalte ou les quais de Paris. Merci ». Le lendemain, la presse titra sur « l’insurrection de la bonté ». L’appel rapportera 500 millions de francs en dons. 

En 2005, dans son livre Mon Dieu… pourquoi ?, rédigé avec Frédéric Lenoir, il déclare qu’il a eu des relations sexuelles alors qu’il était tenu par son serment d’abstinence. Aucune de ses relations n’a duré, car il était tiraillé entre son désir et son vœu de célibat. À ce sujet, il se prononce pour une réforme de la politique de l’Église en faveur du mariage des prêtres. Et ne comprend pas l’interdiction de Jean-Paul II et de Benoît XVI, car ils autorisent le mariage des prêtres dans les pays orientaux. De plus, il voit dans cette autorisation un moyen de lutter contre la pénurie de nouveaux membres de l’Église.

Il se prononce également pour l’ordination des femmes et ne s’oppose pas à l’homoparentalité, à condition que les enfants ne subissent aucun préjudice psychologique ou social et explique notamment son opinion sur le fait « qu’un modèle parental classique n’est pas nécessairement gage de bonheur et d’équilibre pour l’enfant ». Mais il se déclare contre le mariage et préfère y substituer une « alliance » homosexuelle. Car selon lui, le mariage homosexuel « créerait un traumatisme et une déstabilisation sociale forte ». 

L’image du grand barbu en soutane, en grosse pèlerine et godillots forge vite son statut de « héros légendaire », de « juste ». Il a une très grande popularité en France, les enquêtes d’opinion qui la mesurent le placent souvent en tête, notamment celle annuelle du Journal du Dimanche. Il a demandé à être retiré de la liste des nominés. « C’est à la fois une arme et une croix », avoue-t-il.

Encore dans les dernières années de sa vie, malgré la maladie et l’âge, il est descendu dans la rue pour soutenir la cause des pauvres. Il a donné sa crédibilité et soutenu l’association Droit au Logement (DAL), qui dans les années 1990, ne cesse de bousculer les autorités en place, quelle que soit leur couleur politique, en réquisitionnant des logements laissés vides par leur propriétaire.

Convoqué à Boulogne au siège de la LICRA en 1998, il a préféré en perdre le titre de président d’Honneur pour rester l’ami de l’auteur controversé Roger Garaudy sans pour autant approuver toutes les prises de position de celui-ci.

Le 1er février 2004, 50 ans après son premier appel, l’Abbé Pierre a lancé un nouvel appel à la solidarité, depuis l’esplanade du Trocadéro à Paris, devant 6 000 personnes pour pallier l’incurie.

Il nous quitte lundi 22 janvier 2007 à 5h25 à l’hopital Val-de-Grace (Paris) à l’âge de 94 ans des suites d’une infection pulmonaire déclarée dimanche 14 janvier 2007.

Citations de l’abbé Pierre :

« L’amitié, c’est ce qui vient au coeur quant on fait ensemble des choses belles et difficiles»

« Nous avons autant besoin de raisons de vivre que de quoi vivre»

« Que ceux qui ont faim aient du pain ! Que ceux qui ont du pain aient faim de justice et d’amour»

« Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière.  »

« Dieu n’est pas le Toutpuissant dominateur, c’est le Toutpuissant captif,captif des libertés qu’il crée à la cime du monde pour que le monde puisseculminer dans l’amour»

« Le péché c’est vouloir ne plus dépendre de Dieuaffirmer que notre destinée se réalise par nos seuls efforts, sans l’aide divine. C’est prétendre discerner seul ce qui est bien de ce qui est mal, et que l’on peut accéder ausalut par soi-même.  »

« Avec tout l’argent du monde, on ne fait pas des hommes, mais avec des hommes et qui aiment, on fait tout.  »

« Souviens-toi d’aimer !  »

« Vivre, c’est apprendre à aimer.  »

« L’homme d’aujourdhui est colossal par l’énormité des responsabilités quipèsent sur lui, et minuscule devant l’immensité des taches qui de toute partl’appellent.  »

« Quand on s’indigne, il convient de se demander si l’on est digne.  »

« “L’enfer, c’est les autres”, écrivait Sartre. Je suis intimement convaincu ducontraire. L’enfer, c’est soi-même coupé des autres.  »

 « La responsabilité de chacun implique deux actes : vouloir savoir et oser dire.  »

« L’espérance, c’est croire que la vie a un sens.  »
« Pour avoir le droit de parler, il faut avoir les mains propres. Il faut avoir eu lecourage de reconnaître, de réagir si on s’est trompé.  »

« On ne peut pas, sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire du tout.  »

 « Le pouvoir est faitnon pour servir le pouvoir des heureux mais pour la délivrance de ceux qui souffrent injustement.  »

« Il y aura chaque hiver le “scandale des sans-logis” et chaque été la “violence des banlieues”.  »

 « On n’est jamais heureux que dans le bonheur qu’on donneDonner, c’est recevoir.  »

 Son testament sonore :

Chögyam Trungpa Rinpoché (1939 – 1987)


Chögyam Trungpa Rinpoché

Chögyam Trungpa, Rinpoche, a été l’un des enseignants du bouddhisme les plus dynamiques du 20° siècle. Il a fait œuvre de pionnier en apportant les enseignements bouddhistes du Tibet en Occident et on lui attribue l’introduction de nombreux concepts bouddhistes importants dans la langue et la psyché anglaises d’une manière unique et nouvelle. Même une autorité telle que l’Oxford English Dictionary cite son usage du mot ‘ego’ dans une de ses définitions.

Il a fondé la première université d’inspiration bouddhiste en Amérique du Nord: l’Université Naropa. Il a fondé plus d’une centaine de centres de méditation à travers le monde. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine de livres sur la méditation, le bouddhisme, la poésie, les arts et la voie Shambhala de l’art du guerrier. Il a fait venir de nombreux grands détenteurs de lignées tibétains en Amérique du Nord pour la première fois. Il a attiré à lui plusieurs milliers d’élèves qui ont continué à répandre ses enseignements et son héritage dans le nouveau millénaire.

Le Vidyadhara Chögyam Trungpa Rinpoche (1939 – 1987) était le onzième descendant de la lignée des tulkous Trungpa, maîtres importants de la lignée Kagyü, l’une des quatre écoles principales du bouddhisme tibétain, renommée pour l’importance particulière qu’elle accorde à la pratique de la méditation. En plus d’occuper une position-clé dans la lignée des maîtres Kagyü, Chögyam Trungpa a été aussi formé dans la tradition Nyingma, la plus ancienne des quatre écoles tibétaines, et il adhérait au mouvement Rimé – mouvement œcuménique (non-sectaire) du bouddhisme tibétain, dont le but était de rassembler et rendre disponibles tous les enseignements remarquables des différentes écoles, au-delà des rivalités sectaires. Pendant toute sa vie il a cherché à transmettre les enseignements qu’il avait reçus à l’audience la plus large possible.

 

Extrait de sa pensée.

 

Au-delà du matérialisme spirituel

 

    L’ego est capable de tout annexer à ses propres fins, y compris la spiritualité. Par exemple, si l’on a appris une technique de méditation ou une pratique spirituelle particulièrement bénéfique, il commence à la considérer avec fascination, puis il l’examine. Mais, en tout état de cause, comme l’ego est d’apparence solide et qu’il ne peut pas absorber véritablement quoi que ce soit, il se borne à imiter. Aussi s’efforce-t-il d’examiner et d’imiter la pratique de la méditation et le mode de vie spirituel. Lorsque l’on connaît toutes les ficelles et les réponses du jeu spirituel, on essaye automatiquement d’imiter la spiritualité, dès lors qu’un engagement véritable exigerait l’élimination complète de l’ego et qu’à vrai dire, abandonner complètement l’ego est bien la dernière chose que l’on souhaite faire. 

    Nous sommes venus ici étudier la spiritualité. Je crois à l’authenticité de cette recherche mais nous devons en questionner la nature. Le problème est que l’ego peut tout convertir à son propre usage, même la spiritualité. L’ego tente constamment d’acquérir et d’appliquer les enseignements spirituels à son propre bénéfice. Les enseignements sont abordés comme quelque chose d’extérieur– extérieur à moi – , une philosophie que l’on tâche d’imiter. Mais on ne souhaite pas réellement s’identifier avec les enseignements, devenir les enseignements. Alors, si notre maître parle de renoncer à l’ego, on essaye de mimer la renonciation. On fait les mouvements, les gestes appropriés, mais en fait on ne veut à aucun prix sacrifier le moindre élément de son mode de vie. On devient un acteur averti et, tandis que l’on demeure sourd et aveugle à la signification véritable des enseignements, on trouve quelque confort à faire semblant de suivre le sentier. 

    Il est important de voir que le point essentiel de toute pratique spirituelle est de sortir de la bureaucratie de l’ego, c’est-à-dire de ce constant désir qu’a l’ego d’une forme plus haute, plus spirituelle, plus transcendante du savoir, de la religion, de la vertu, de la discrimination, du confort, bref, de ce qui fait l’objet de sa quête particulière. Il faut sortir du matérialisme spirituel. Si nous n’en sortons pas, si nous en faisons notre pratique, nous nous doterons peut-être d’une vaste collection de sentiers spirituels, fort précieuse à notre avis. Nous avons tellement étudié ! Peut-être avons-nous étudié les philosophies occidentales ou les mystiques orientales, pratiqué le yoga ou même recueilli les enseignements de dizaines de grands maîtres. Nous sommes accomplis, car nous savons tellement de choses ! Nous sommes intimement persuadés d’avoir amassé un trésor de connaissances. Et, pourtant, à l’issue de cet itinéraire, il y a encore quelque chose à abandonner. Quel mystère ! Comment est-ce possible ? C’est impossible…hélas, c’est pourtant vrai. Ces trésors de connaissances, ces sommes d’expériences ne sont qu’un élément de la vitrine de l’ego, ils concourent à le rendre plus grandiose. Nous les affichons et, ce faisant, nous nous rassurons sur notre existence, confortable et sans risques, d’êtres  » spirituels « . 

   En fait, nous avons simplement monté une boutique, une boutique d’antiquités. Peut-être sommes-nous spécialisés dans les objets orientaux, les antiquités du Moyen-âge chrétien, ou les vieilleries de telle culture à telle époque, mais quoi qu’il en soit, nous sommes des boutiquiers. 
Le gourou.

    Il n’est d’aucun secours de prendre quelqu’un pour maître simplement parce qu’il est célèbre, parce qu’il s’est fait un nom en publiant des montagnes de livres et converti des milliers ou des millions de gens. Les critères sont bien plutôt les suivants : êtes-vous, oui ou non, véritablement capable de communiquer avec cette personne, de façon directe et profonde ? Jusqu’à quel point vous illusionnez-vous ? Si vous vous ouvrez véritablement à votre ami spirituel, alors vous pouvez travailler ensemble. Etes-vous en mesure de lui parler avec justesse et profondeur ? Sait-il quelque chose de vous ? Et sait-il quelque chose de lui-même, d’ailleurs ? Est-il réellement capable de voir à travers vos masques, de communiquer avec vous de façon juste et directe ? Voici quels paraissent être les critères lorsque l’on cherche un maître, plutôt que la renommée ou la sagesse. 

      Au sujet de la nécessité ou non d’avoir un  » maître « , des qualités qu’il doit ou ne doit pas avoir, des attitudes qui prouvent ou non son authenticité, on a écrit des milliers de livres et dévasté des hectares de forêt… en oubliant peut-être un peu vite que la vie de tous les jours, si nous y sommes attentifs, nous enseigne tout ce que nous avons besoin de savoir. Ne nous encourage-t-elle pas à chaque instant à nous déprendre de nos  » je-veux-je-ne-veux-pas « , à cesser de nous agripper à des nuages, pour  » être « , simplement…?

   Relation avec le gourou, suite…

    Il n’est pas question de trouver un maître sage à qui nous pourrons acheter ou voler sa sagesse. La véritable initiation implique que l’on se comporte de façon honnête, droite et directe avec l’ami spirituel et avec soi-même. Aussi avons-nous à faire quelque effort pour nous exposer, nous et les illusions que nous créons. Nous avons à lâcher prise et à exposer notre ego, avec ses qualités brutes et rudes. 

   Une telle ouverture n’implique aucune flatterie, nous n’avons pas à plaire à notre ami spirituel, ni à faire impression sur lui. La situation ressemble à celle où un médecin, réalisant que vous allez mal, vous fait quitter votre logis, en employant la force si besoin est, et vous opère sans anesthésie. Peut-être trouvez-vous le traitement trop violent et douloureux, mais alors vous commencez à réaliser combien coûte la communication réelle – le contact avec la vie. 

   Les dons financiers à une cause spirituelle, les contributions sous formes de travaux physiques,les relations avec un maître particulier, rien de tout cela ne signifie nécessairement que nous nous engageons vraiment à être ouverts. Il est plus probable que ce type d’engagement nous sert simplement à prouver que nous avons rejoint le clan des  » justes « . Le maître semble sage. Il sait ce qu’il fait et nous aimerions être de son côté, du côté sûr, du bon côté, pour garantir notre bien-être et notre succès. Mais une fois que nous nous sommes fixés à son côté, du côté de la santé, de la stabilité, de la sagesse, nous avons la surprise de découvrir que nous n’avons pas réussi le moins du monde à nous mettre en sécurité, parce que nous n’avons engagé que notre façade, notre visage, notre cuirasse. Nous ne nous sommes pas totalement engagés nous-mêmes. Nous sommes alors forcés d’ouvrir ce qu’il y a derrière. Avec horreur, nous constatons qu’il nous est impossible de nous sauver. (…) La cuirasse rembourrée que nous portions est déchirée de toutes parts. Il n’y a plus aucun endroit où se cacher. Bon sang ! Tout est découvert, notre prétention mesquine et notre égoïsme. Parvenus à ce point, nous réalisons sans doute que nos efforts maladroits pour rester masqués ont été sans effet d’un bout à l’autre. 

   C’est souvent le point où, découragé et furieux, l’élève fuit le maître. Le point aussi de se souvenir que  » deux ans à côtoyer un mauvais maître peuvent nous apprendre davantage que vingt ans de marche solitaire  » et que  » Si l’élève peut quitter le maître ; le maître, lui, ne peut jamais rejeter définitivement l’élève. « 

Toujours au sujet de la voie abrupte…

   Avons-nous réellement fait l’expérience de la nudité, de l’ouverture et du don ? C’est la question fondamentale. Il nous faut réellement lâcher prise, donner quelque chose, abandonner quelque chose, et c’est très douloureux. Il nous faut commencer à démanteler la structure fondamentale de cet ego que nous avons réussi à créer. Le processus du démantèlement, de l’ouverture, de l’abandon est le véritable processus d’apprentissage. Quelle part de cet ongle incarné qui tenaille notre chair avons-nous décidé d’ôter ? Il est fort vraisemblable que nous avons réussi à ne rien abandonner du tout. Tout ce que nous avons fait est rassembler, construire, ajouter couche après couche. Aussi le propos de la voie dure est-il fort effrayant. 

   Le problème est que nous cherchons une réponse facile et indolore. Mais ce type de solution est inopérant sur le sentier spirituel, sur lequel nous n’aurions peut-être pas dû nous engager. Mais une fois que nous y sommes, c’est dur, c’est douloureux, et nous allons en baver. Nous nous sommes engagés dans la souffrance consistant à nous exposer, à nous déshabiller, à donner notre peau, nos nerfs, notre cœur, notre cerveau, jusqu’à ce que nous soyons offerts à l’univers. Rien ne doit rester. Ce sera terrible, crucifiant, mais c’est comme ça. 

L’avertissement n’est pas nouveau ! Pour preuve cet ancien chant perse cité par Irina Tweedie dans » L’abîme de feu « .

 » Si j’avais su combien l’Amour est douloureux,
je serais resté à l’entrée de la Voie de l’Amour.
J’aurais proclamé avec un tambour :
Eloignez-vous ! Partez loin !
Ce voyage est sans retour,
une fois engagé on reste là – seul et sans aide.
Mais vous qui êtes encore dehors,
regardez bien !
Réfléchissez avant d’entrer
combien il est difficile – et douloureux
de marcher sur le Chemin de l’Amour ! « 

   ** Cf :  » Ce qui vous est le plus cher doit disparaître !  » (What is dearest to you must go !), disait le maître soufi d’Irina Tweedie dans l’ouvrage cité.
Question :  » Si la voie véritablement dure consiste à m’abandonner, dois-je accepter de m’abandonner à ce que je considère être mal, sachant que je puis prendre des coups ? « 

Réponse :  » S’ouvrir ne signifie pas accueillir en martyr toutes les menaces qui surviennent. Il n’est pas nécessaire de rester sur la voie de chemin de fer lorsqu’arrive le train pour s’ouvrir au train. Ce serait la voie de l’héroïsme, la fausse voie dure. A chaque fois que nous rencontrons quelque chose que nous considérions comme  » mal « , l’autoprotection de l’ego s’en trouve menacée. Et nous sommes tellement occupés à préserver notre existence en face de cette menace que nous ne pouvons pas du tout voir la chose clairement. Pour nous ouvrir, il nous faut pourfendre notre désir de préserver notre existence propre. Alors nous pouvons voir la situation clairement, telle qu’elle est, et avoir une action juste. « 

 Au sujet de la psychothérapie.

Si dans la psychothérapie, on met l’accent sur la vie du moment présent, non seulement en ce qui concerne l’expression verbale et les pensées, mais aussi en termes d’expérience véritable des émotions et des sentiments, alors je crois que l’on peut atteindre une méthode de travail très équilibrée. Malheureusement, il y a de nombreux types de psychothérapies et de nombreux psychothérapeutes occupés à se vérifier eux-mêmes et à vérifier leurs théories plutôt qu’à travailler sur ce qui est. En fait, le travail sur ce qui est les effraie. 

On trouvera une intéressante remise en question de la psychothérapie et des psychothérapeutes dans : » Krishnamurti, Rajneesh, C.G.Jung  » de Ian Foudraine. Le voyage intérieur – Paris 1992.

 La voie ouverte.

Une fois que l’on s’est ouvert, que l’on a tout abandonné, que l’on a cessé de faire référence au critère fondamental de  » je suis en train de faire ceci, je suis en train de faire cela « , que l’on ne se réfère plus à soi, alors toutes les situations liées au maintient de l’ego ou à l’accumulation s’évanouissent d’elles-mêmes. (…) Alors on s’ouvre encore plus. On ne considère plus que quoi que ce soit doive être rejeté ou accepté ; on va, tout simplement, avec chaque situation. On ne fait plus l’expérience de la guerre ; il n’y a plus ni ennemi à vaincre ni but à atteindre. On n’est plus obsédé par l’accumulation ni par le don. Plus d’espoir ni de crainte. C’est le développement de la connaissance transcendantale, la capacité de voir les situations telles qu’elles sont. 

   Les écritures mahayana distinguent les êtres qui sont complètement prêts à s’ouvrir, ceux qui le sont presque et ceux qui en ont la potentialité. Les êtres qui en ont la potentialité sont des intellectuels, que le sujet intéresse, mais qui ne laissent pas à cet instinct suffisamment de place pour jaillir. Ceux qui sont presque prêts ont l’esprit tout à fait ouvert, mais ils s’observent plus qu’il n’est nécessaire. Ceux, enfin, qui sont complètement prêts à s’ouvrir ont entendu la formule secrète, le mot de passe :  » quelqu’un l’a déjà fait, quelqu’un a déjà traversé, c’est le sentier ouvert.  » Dès lors, sans considérer comment ou quand ou pourquoi, ouvrez-vous, simplement. « 

   Mais juste avant ce grand saut, il est une étape que Trungpa aborde un peu plus loin :

   Le Sentier du Bodhisattva est divisé en dix étapes et cinq sentiers. A la fin du dernier sentier, à la dixième étape, vous entr’apercevez soudainement que vous allez donner naissance à l’état d’esprit éveillé, que vous allez actionner le déclic, lorsque quelque chose vous repousse. Vous réalisez alors que la seule chose qui vous retient est qu’il faut abandonner la tentative. C’est la mort du désir

Quelques mots sur la compassion.

  Pour la façon de penser conventionnelle, la compassion signifie simplement être gentil et chaleureux. Les écritures parlent de cette sorte de compassion comme d’un  » amour de grand-mère. On peut s’attendre à ce que la personne qui pratique ce type de compassion soit extrêmement douce et gentille, elle ne ferait pas de mal à une mouche (…) mais la véritable compassion estimpitoyable du point de vue de l’ego, parce qu’elle ne prend pas en considération la tendance de l’ego à se maintenir. Elle ne tient pas compte des tentatives simplistes et maladroites de l’ego en vue d’assurer son propre confort.

   L’énergie soudaine de la compassion sans pitié nous arrache à notre confort et à notre sécurité, nous secoue de nos styles de vie réguliers, répétitifs et confortables. La méditation ne consiste pas simplement à être une personne honnête et bonne dans le sens conventionnel. Il nous faut commencer à devenir compatissants et sages dans le sens fondamental, ouverts et en relation avec le monde tel qu’il est. 

Extraits tirés de  » Pratique de la Voie tibétaine  » Publié par les éditions du Seuil, Paris l976.

 

KRISHNAMURTI (1895 – 1986)


 

 

Jiddhu Krishnamurti (1895 – 1986)

Vidéo rare en français (interviews)      <===  ici

Philosophe indien ayant dépassé toute appartenance religieuse, culturelle et nationale, Krishnamurti est considéré comme l’un des plus grands maîtres contemporains. Son message, aussi limpide que percutant, a fait de lui le pilier intellectuel, spirituel et existentiel de milliers de personnes.

Huitième enfant d’une famille Bramine, fragile et peu enclin aux études, Krishnamurti a très tôt le sens de l’observation et de la charité. A l’âge de 10 ans, alors qu’il vient de perdre sa mère, un éminent représentant de la Société Théosophique reconnaît en lui le Grand Instructeur du Monde attendu par le mouvement. Et, à 16 ans, Krishnamurti est à la tête de l’Ordre international de l’Etoile d’Orient.
Mais quelques années plus tard, une crise spirituelle et physique le conduit à une expérience d’extase bientôt suivie d’une période de désespoir extrême déclenché par la mort de son frère Nitya. Krishnamurti traverse alors cette fameuse “nuit noire” où l’âme se retrouve sans repères : instant béni où, dans un ultime abandon, libérée de l’ego, elle découvre son altérité au sein d’« un grand amour permanent impérissable, invincible ». « Laissez fleurir votre souffrance » dira alors Krishnamurti, conscient que la libération spirituelle ne peut que résulter d’une dynamique intérieure de “non-agir” qui consiste à vivre l’instant présent sans résister, sans fuir, sans “vouloir être”. Réalisant désormais l’inutilité d’une autorité spirituelle ou morale dans la recherche de la vérité, il décrète en 1929 la dissolution de son Ordre qui compte alors plus de 40 000 membres.
De conférences en entretiens, il va parcourir le monde jusqu’à l’âge de 91 ans, désireux de rendre l’Homme libre de cette peur qui le pousse à se cacher derrière des modèles, des systèmes ou des conditionnements, libre de toutes ces “cages” que sont les croyances, les pratiques, les gourous et les mentalisations, libre de la multitude d’emprises qui le limitent et étouffent l’amour qui est en lui. Et de préciser que cette libération s’accomplit d’elle-même dès lors que nous observons quotidiennement nos conditionnements sans la moindre pensée laissant ainsi l’amour nous guérir et nous guider. Car « seul l’amour est une façon juste de penser », dit-il, seul l’amour nous permet de construire un monde plus uni par la reconnaissance de l’action juste et de la relation intelligente.
C’est tout un art de vivre auquel nous convie Krishnamurti : art de voir et d’écouter avec tout son cœur, art d’interagir avec autrui au-delà de toutes ces interférences qui nous empêchent d’être ce que nous sommes et d’agir en conséquence.

On l’avait compris, Krishnamurti est un être d’ouverture, un être de relation. L’apothéose de l’“éveil au cœur” se situe, selon lui, dans la relation avec l’autre, dans ce regard neuf et immaculé qu’on lui porte. Voilà pourquoi l’école devrait nous communiquer cet art de vivre fondé non pas sur la valorisation de l’ego par le savoir et la compétition mais sur l’éveil de la véritable intelligence : « le monde est ce que nous sommes » nous dit Krishnamurti. Il est heureux que ses théories soient enseignées non seulement dans les écoles qu’il a créées en Inde, aux Etats-Unis et en Angleterre mais dans des centaines de facultés de philosophie, psychologie et sciences de l’éducation…

Très vite Krishnamurti apparut comme un penseur de grande envergure, intransigeant et inclassable,
dont les causeries et les écrits ne relevaient d’aucune religion spécifique,
n’appartenaient ni à l’orient ni à l’Occident, mais s’adressaient au monde entier.
Répudiant avec fermeté cette image messianique, il prononça à grand fracas en 1929
la dissolution de la vaste organisation nantie qui s’était constituée autour de sa personne.
Il déclara alors que la vérité était « un pays sans chemin », dont l’accès ne passait par aucune religion, aucune philosophie ni aucune secte établies.

Tout le reste de sa vie, Krishnamurti rejeta obstinément le statut de guru que certains voulaient lui faire endosser.
Il ne cessa d’attirer un large public dans le monde entier, mais sans revendiquer la moindre autorité ni accepter aucun disciple,
s’adressant toujours à ses auditeurs de personne à personne.
A la base de son enseignement était la conviction que les mutations fondamentales de la société
ne peuvent aboutir qu’au prix d’une transformation de la conscience individuelle.
L’accent était mis sans relâche sur la nécessité de la connaissance de soi,
et sur la compréhension des influences limitatives et séparatrices du conditionnement religieux et nationaliste.
Krishnamurti insista toujours sur l’impérative nécessité de cette ouverture,
de ce « vaste espace dans le cerveau où est une énergie inimaginable ».
C’était là semble-t-il, la source de sa propre créativité, et aussi la clé de son impact charismatique sur un public des plus variés.

Krishnamurti poursuivit ses causeries dans le monde entier jusqu’à sa mort, en 1986, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Ses entretiens et dialogues, son journal et ses lettres ont été rassemblés en plus de soixante volumes.

« Si vous voulez aider quelqu’un à changer, dit-il, soyez comme le soleil. Donnez-lui la compassion, l’amour, l’intelligence et rien d’autre » : Krishnamurti était un soleil. Par sa présence rayonnante, sa sérénité, son regard, sa parole, ses silences, il offrait son énergie. Sans jamais préparer ses conférences, il se donnait sans filet, dans l’instant présent, exhortant chacun à créer à partir du vide, ce vide rempli d’amour…
Laisser l’amour nous envahir à chaque instant est le plus bel hommage que nous puissions rendre à Jiddhu Krishnamurti.

Lectures conseillées :

 Se libérer du connu – J. Krishnamurti, Mary Lutyens : Voici le traité de la seule révolution qui vaille : la libération intérieure.

 La première et dernière liberté – J. Krishnamurti : Un ensemble d’écrits et de causeries sur le thème suivant: la solution au problème de l’existence est en soi-même. 

 Le livre de la méditation et de la vie – J. Krishnamurti : Un texte de méditation pour chaque jour de l’année; parmi les thèmes abordés: la liberté, la souffrance, l’amour. 

 Cette lumière en nous – J. Krishnamurti 

 Pour devenir disciple – J. Krishnamurti : Lorsqu’on s’engage sur le sentier, il est indispensable d’acquérir certaines qualités. 

De quelle autorité, qui apporte la vérité ? – J. Krishnamurti : Sans recherche de la Vérité, point de libération ; sans libération, point de bonheur. 

 La vie libérée – J. Krishnamurti : Quelques thèmes traités : le but de la vie, le bonheur et le désir, la compréhension, la recherche, tenez-vous debout par vos propres forces, soyez amoureux de la vie, le temps, la création sans forme… !

 L’Immortel ami – J. Krishnamurti : Dans ce poème mystique, ce chant d’amour, Krishnamurti évoque sa rencontre avec sa nature intérieure, qu’il nomme l’Immortel ami. Un appel de l’âme à l’Autre Ame qui est à la fois Instructeur et Ami. 

 Face a la vie – J. Krishnamurti : Krishnamurti invite à réfléchir sur la véritable éducation, le rôle des parents et des enseignants, ainsi que sur l’attitude de l’étudiant. 

Dernier journal – J. Krishnamurti : Magnifiques textes par Krishnamurti. 

 De la vie et de la mort – J. Krishnamurti : Compilation d’extraits des soixante volumes de l’oeuvre éditée. Plus d’une vingtaine de textes de 1932 à 1976 concernant le double thème du titre.

De la vérité – J. Krishnamurti 

À propos de Dieu – J. Krishnamurti : Krishnamurti analyse très finement les racines de la croyance, expose les déviances des traditions religieuses, démontre la vanité de toute quête d’une connaissance de “l’inconnaissable”.

La révolution du silence – J. Krishnamurti, Mary Lutyens : Le maître réfléchit devant ses auditeurs, aux grandes questions de l’existence (la vie, l’angoisse, la souffrance, la mort, l’amour, la beauté) tout en axant son exhortation sur la rentrée en soi-même par la méditation. 

 

Confucius (551 à 479 Av J-C)


 

Homme d’Etat et philosophe chinois.

Les idées de Confucius – nom latinisé de Kong Fuzi – ont influencé toutes les civilisations d’Asie de l’Est. La croyance en la capacité de l’homme ordinaire à modifier son propre destin caractérise cet héritage. En contraste avec son incroyable influence, la vie de Confucius est d’une simplicité exemplaire. Instruit par sa mère, il se distingue par une infatigable envie d’apprendre. Sa maîtrise des arts lui permet d’ailleurs de débuter une brillante carrière d’enseignant. Il s’implique en politique, souhaitant mettre ses idées humanistes en pratique auprès des gouvernements. Il devient magistrat puis ministre de la Justice dans l’Etat de Lu. A 56 ans, il réalise finalement que ses supérieurs ne sont pas intéressés par ses idées et quitte le pays pour un exil de douze ans. Pendant ce temps sa réputation d’homme de vision se répand. A 67 ans, il retourne chez lui pour enseigner et écrire. Ses ‘Entretiens’ et ses théories, largement popularisés par ses disciples, constituent une doctrine de perfectionnement moral.

La jeunesse

Confucius est né dans l’Etat de Lu dans une famille noble du clan Kong. Son père, gouverneur de la province de Lu, meurt trois ans après sa naissance, laissant la famille sans ressources. Confucius reçoit toutefois une éducation de haut niveau, notamment les traditions culturelles de la dynastie Chou. Il se marie à vingt-quatre ans et a un fils et deux filles. Il exerce momentanément des tâches domestiques pour le chef de la province.

Sa carrière d’instructeur

Sa mère meurt en 527 avant J-C. Au terme d’une période de deuil, il voyage et dispense son enseignement au petit groupe de disciples qui l’entoure alors. Il est rapidement réputé comme un homme de grande érudition et de caractère, profondément respectueux des idéaux de la tradition.

Sa carrière de magistrat

A l’âge de cinquante ans, Confucius est nommé magistrat. Il est bien vite chargé de la justice dans le gouvernement de Lu. Son action est couronnée de succès : il introduit des réformes, rend la justice plus équitable. Victime d’une conspiration suscitée par ses résultats, il est amené à quitter son poste en 496 avant J-C. Il part en voyage pour trouver l’appui lui permettant d’entreprendre des réformes.

La fin de sa vie

En 484 avant J-C, il rentre définitivement dans l’Etat de Lu, passant les dernières années de sa vie à rédiger des commentaires sur les auteurs classiques.

La pensée de Confucius

Confucius déplorait le désordre et l’absence de considérations éthiques sous la dynastie Chou, et préconisait de renouer avec les principes et préceptes des sages de l’Antiquité, en initiant ses élèves aux auteurs anciens de la littérature chinoise. Il accordait également un rôle capital à la musique. Attachant une grande valeur au pouvoir de l’exemple, il soutenait que les gouvernants doivent mener une vie exemplaire, pour entraîner les citoyens à suivre leur exemple, l’Etat ne pouvant alors que connaître la prospérité et le bonheur.

Confucius considérait que l’homme doit se conduire sur la base de cinq vertus : la bonté, la droiture, la bienséance, la sagesse et la loyauté. Le respect des parents, de la vie et de la mort était également un de ses concepts clés.
Confucius n’a pas écrit lui-même son enseignement, mais celui-ci a été transmis par ses disciples. On considère que les « Cinq livres canoniques » en forment l’essentiel.
Les « Analectes » contiennent la source la plus fiable de sa vie.

Confucius a été reconnu de son vivant comme un grand penseur et, par la suite, comme un être surnaturel.

Citations :

« Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre lesquestions. »

« Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seuljour de votre vie. »

« Quand on peut accomplir sa promesse sans manquer à la justice, il fauttenir sa parole. »

« Je ne veux ni ne rejette rien absolument, mais je consulte toujours lescirconstances. »

« L’homme sage n’est pas comme un vase ou un instrument qui n’a qu’unusage ; il est apte à tout. »

« C’est seulement quand l’hiver est arrivé qu’on s’aperçoit que le pin et lecyprès perdent leurs feuilles après tous les autres arbres. »

« On peut connaître la vertu d’un homme en observant ses défauts. »

« Entendre ou lire sans réfléchir est une occupation vaine ; réfléchir sans livreni maître est dangereux. »

« Le silence est un ami qui ne trahit jamais. »

« Quand on ne sait pas ce qu’est la vie, comment pourrait-on savoir ce qu’est la mort ? »

« Dépasser le but, ce n’est pas l’atteindre. »

« Celui qui sait obéir saura ensuite commander.  »

« Rendez le bien pour le bien et la justice pour le mal. » (A comparer à celle de Lao Tseu )

« La joie est en tout ; il faut savoir l’extraire. »

« Une petite impatience ruine un grand projet.  »

Bibliographie :

  • « Le grand livre des religions du monde » sous la direction de Peter Clarke, éditions Solar
  • « La Sagesse orientale » de Scott Littleton, éditions Duncan Baird
  • « Les livres sacrés » de Fernand Comte, éditions Bordas
  • « La Sagesse de Confucius » de Guy Samson, éditions Quebecor
  • « Confucius: entretiens avec ses disciples » éditions Denoël
  • « Confucius » de Gou Xia et Feng Wei (18 maximes extraites des « Entretiens de Confucius »), éditions du Dauphin (Beijing, Chine)

Lao Tseu environ (de 570 à 490 av.J-C)


Le Livre de la Voie et de la Vertu ou Dao De Jing que la tradition lui attribue est un texte majeur du taoïsme, considéré comme important par d’autres courants également. Lao Tseu est considéré par les sectes taoïstes comme un dieu (Taishang Laojun 太上老君 « Suprême seigneur Lao ») et comme leur ancêtre commun.

L’image la plus courante de Lao Tseu en fait un personnage extraordinaire. Conçu miraculeusement par le passage d’une comète ou l’ingestion par sa mère d’une prune (li, nom de famille qui lui est généralement attribué) magique, il naît avec des cheveux blancs et une barbe, d’où son surnom d’ancien (lao), et des oreilles aux lobes très longs, signe de sagesse. Archiviste à la cour des Zhou et contemporain de Confucius qui le reconnaît comme un maître et un être extraordinaire, il finit par quitter le pays âgé d’au moins 160 ans, lassé des dissensions politiques. Il part vers l’ouest monté sur un buffle ; arrivé à la passe qui marque la frontière, il rédige le Livre de la Voie et de la Vertu à la demande du gardien Yin Xi puis continue son voyage. Personne ne sait alors ce qu’il devient, mais certains pensent qu’il ne meurt pas ou qu’il se réincarne, reparaissant sous différentes formes pour transmettre le Dao5.

Théories sur le personnage

Dans sa pensée, n’oublions pas que le sage reste en retrait, comme debout dans la pénombre. En suivant cette logique, on serait en droit d’estimer que, il aurait pu changer de nom à plusieurs reprises, dans le but délibéré de jeter une confusion permanente sur son existence. Selon l’endroit où il se trouvait, il pouvait y être connu sous un ou plusieurs noms différents. Ce qui, aujourd’hui, bien sûr, met un voile d’obscurité sur l’historicité du personnage, les sources citant divers noms pour, probablement sans le savoir, la même personne. L’usage de plusieurs noms pour une même personne, en Chine, étant à l’époque une pratique généralisée et même traditionnelle. Il y a le nom à la naissance, le prénom social, le «Hao», l’interdiction d’appeler un aîné par son prénom à la naissance. L’introduction de particule devant le nom, par exemple, si quelqu’un semble être plus âgé que quarante ans, on doit placer «Lao» soit devant le nom de famille, soit devant le prénom social ou encore le «Hao». En admettant que le prénom social de Lao Tseu soit Dan, et qu’il semblait à l’époque avoir plus de quarante ans, on devrait donc dire «Lao Dan», et il pourrait s’agir du même personnage dont le nom personnel, qui à cause de son âge devenu tabou, soit effectivement Li Er, et les noms «Laolaizi» et « Lao Zi » (possiblement un diminutif de Laolaizi) aurait pu être le nom que lui affublaient ses disciples directs. Comme prononcer le nom personnel d’un aîné était tabou, on peut convenir ignorer comment le nom Li Er est venu aux «oreilles» de Sima Qian.

Le paradoxe de Lao Tseu

En effet, réel ou fictif, le personnage Lao Tseu a réellement existé, même s’il n’a pas existé réellement sous ce nom ou sous un nom d’emprunt comme c’était d’usage à l’époque. Puisque c’est probablement un nom en lien avec un personnage de légende, ayant eu cours au temps de Printemps et Automnes que le personnage ayant inspiré le pseudonyme a existé ou non, n’a que peu d’importance. En effet, si le personnage n’a pas existé, mais que l’œuvre qui lui est attribuée existe bien, alors on se retrouve en plein paradoxe. Premièrement, il est possible qu’il ait écrit l’œuvre lui-même (Lao Tseu). Deuxièmement, il est possible que le Daodejing ait été écrit à titre posthume par un disciple direct. Troisièmement, l’auteur voulant valoriser son œuvre décide de prendre un pseudonyme en lien avec un personnage dont la sagesse faisait autorité. Dans cette troisième alternative, on est renvoyé à la notion même de paradoxe. Puisque l’auteur (anonyme) a pris le pseudonyme du sage reclus, et ce même s’il n’a pas vécu, ayant pris son nom, il devient donc faux de dire qu’il n’a pas vécu. Quatrièmement, il est possible qu’il ait écrit l’œuvre lui-même et que, dans une époque où les auteurs ne signaient pas leurs œuvres de leurs propres noms, il l’ait fait dans le but de jeter un doute dans l’esprit des générations futures. Cette quatrième hypothèse, nous ramène encore à la notion de paradoxe. Étant donné que, il signe son propre nom, dans le but que l’on anticipe qu’il n’est pas l’auteur, bien qu’il soit l’auteur. Enfin, dans le Daodejing, le concept de paradoxe revient fréquemment, alors on ne doit pas se surprendre de nager en plein paradoxe.

Lao Tseu dans le taoïsme religieux

Parallèlement au Lao Tseu historique proposé par les historiens Han, un Lao Tseu religieux apparait dans d’autres sources, comme le Liexianzhuan (列仙傳) qui le compte au nombre des immortels. Depuis la fin des Royaumes combattants, il est avec le souverain mythique Huangdi l’un des personnages centraux du courant huanglao, important jusqu’au début des Han. À l’origine philosophique et politique, ce courant aurait pris un tour plus religieux quand il fut évincé par le confucianisme. On trouve des témoignages de la divinisation de Lao Tseu dès le règne de l’empereur Huandi (r. 146-168), qui lui rend un culte. En 153, Wang Fu (王阜), préfet de la région de Changsha, fait dresser une stèle dédiée à Lao Tseu sur laquelle celui-ci est identifié au Dao originel ; vers la même époque, le lettré Bian Shao (邊韶) déclare que Lao Tseu est un immortel, maître des sages de différentes époques à travers ses métamorphoses. Dans le Bianhua wuji jing (變化無極經) des Han orientaux, Lao Tseu, identifié au Dao, se donne naissance à lui-même et prédit son retour sous une de ses métamorphoses dans une perspective millénariste.

Il est l’un des quatre grands dieux de la secte des Cinq boisseaux qui émerge à la fin du iie siècle et exige de ses adeptes la récitation régulière du Dao De Jing. Le courant desMaîtres célestes issu des Cinq boisseaux contribuera fortement à répandre l’image divine de Lao Tseu et à enrichir sa légende. Sous les noms de Vénérable céleste du Dao et de la Vertu (道德天尊) ou Pur du faîte suprême (太清), il est devenu l’un des Trois Purs, divinités principales des grandes écoles taoïstes modernes. Encore appelé Suprême seigneur Lao (太上老君) ou Empereur de l’origine mystérieuse (玄元皇帝), il apparaît sous des formes diverses au fil des siècles pour guider les fidèles. Dans les temples, son effigie est à la droite du trio des Trois Purs ; il a la barbe et les cheveux blancs et tient en main un éventail.

Dans L’Explication ésotérique des trois cieux (Santian neijiejing 三天內解經) (~420), un texte des Maîtres célestes, Lao Tseu connaît une triple naissance : en tant que divinité, en tant que Laozi historique, puis en tant que Bouddha. En effet, le taoïsme religieux, confronté au iiie siècle au développement du bouddhisme en Chine, a tenté un rapprochement audacieux entre ce personnage parti en pays barbare et le Bouddha qui serait son incarnation ou parfois son élève. Wang Fu (王浮), membre des Maîtres célestes, expose à la même période cette opinion dans La conversion des Barbares par Lao Tseu (Laozihuanhu 老子化胡), ouvrage qui sera régulièrement repris et enrichi jusqu’au xive siècle où les prétentions de voir Lao Tseu dans le Bouddha seront définitivement rejetées.

Les empereurs de la dynastie Tang (618-907), dont le nom de clan était Li, acceptèrent volontiers de se considérer comme ses descendants lorsqu’ils firent du taoïsme leur religion officielle et de l’honorer comme Shengzu (聖祖) « Saint ancêtre ». L’empereur Gaozong (r. 649-683) lui accorda le titre de « Suprême empereur céleste du mystère originel » (太上玄元天帝).

Le Lao Tseu divin a un aspect hors du commun. Ge Hong le décrit ainsi : peau jaune clair, oreilles longues, grands yeux, dents écartées, bouche carrée aux lèvres épaisses, quinze rides sur un front large qui porte aux coins la forme de la lune et du soleil. Il a deux arêtes de nez et trois orifices à chaque oreille, et les dix lignes des êtres d’élite marquent ses paumes.

Les circonstances de sa naissance sont également extraordinaires : sa mère, qui l’aurait conçu en apercevant une comète ou un dragon volant alors qu’elle était assise sous un prunier – d’où son nom de famille Li – l’aurait porté pendant huit ou quatre-vingt-un ans. Lorsqu’il naquit avec les cheveux blancs – origine pour certains du nom Lao (vieux) – une comète apparut dans le ciel et neuf dragons sortirent de terre pour le baigner. C’est ce dernier détail, joint au fait que selon Bian Shao, son lieu de naissance se situait au confluent des rivières Guo et Gu et sur la rive yáng de la Guo, qui a encouragé la ville de Guoyang à postuler la place de lieu de naissance du sage. Il y existe en effet un site appelé « Puits des neuf dragons » qui daterait des Printemps et des Automnes.

Citations :  

« Celui qui se conduit vraiment en chef ne prend pas part à l’action. »

« Le sage peut découvrir le monde sans franchir sa porte. Il voit sansregarder, accomplit sans agir. »

« Celui qui excelle à employer les hommes se met au-dessous d’eux. »

« Plus le sage donne aux autres, plus il possède. »

« Savoir se contenter de ce que l’on a : c’est être riche. »

« Quand la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre. »

« Imposer sa volonté aux autres, c’est force. Se l’imposer à soi-même, c’estforce supérieure. »

« Les hommes sont différents dans la vie, semblables dans la mort. »

« Rendre le bien pour le bien et le bien pour le mal, c’est la bonté efficace. »

« Le sage sans jamais faire de grandes actions, accomplit de grandeschoses.  »

« Plus on va loin, moins on apprend. »

« Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. Le sageenseigne par ses actes, non par ses paroles. »

« L’être qu’on peut nommer n’est pas l’être suprême.  »

« Trop loin à l’est, c’est l’ouest. »

Sénèque Philosophe latin (4 à 65)


BIOGRAPHIE DE SENEQUE

« L’essentiel est l’emploi de la vie, non sa durée. »

Défenseur acharné de la liberté politique et de la justice sociale, Sénèque envisage la sagesse comme le but ultime de tout homme. Ce grand orateur considère que chacun doit se fier à la nature et à la providence pour vivre heureux. La tranquillité de l’âme dépend ainsi de la capacité à s’éloigner de ses passions afin de tendre vers cet idéal. C’est sur ce principe moraliste qu’il rédige un véritable manuel de vie dans ‘Lettres à Lucilius’, un chef-d’ oeuvre appelé à devenir son plus grand succès. La maîtrise de soi sur la vie que prône le penseur prend tout son sens à sa mort. Précepteur de Néron, Sénèque le conseille jusqu’en 65 avant de se voir accusé d’une tentative d’assassinat. L’empereur le condamne à choisir entre suicide et exil : fidèle à son idéologie, le stoïcien préfère mettre fin à ses jours. Il laisse derrière lui neuf tragédies et de précieux écrits moraux qui inspirent nombre d’auteurs, dont Rousseau et Montaigne. Reconnu comme l’un des plus grands philosophes romains, Sénèque tente d’orienter le monde vers une quête spirituelle pour que l’humanité soit en harmonie avec son environnement quotidien.

Citations de Sénèque :

«Méditer la mort, c’est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave»

« Si tu veux être aimé, aime.  »

« Tirons notre courage de notre désespoir même. »

« Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie. »

« On doit punir, non pour punir, mais pour prévenir.  »

« Il est plus facile de se contenir que de se retirer d’une querelle.  »

« La colère est comme une avalanche qui se brise sur ce qu’elle brise.  »

« C’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien. »

« Ma patrie est le monde.  »

« L’amitié est toujours profitable, l’amour est parfois nuisible. »

« Pour faire taire autrui, commence par te taire. »

« Le coupable est celui à qui le crime profite.  »

« La plus grande partie de la vie passe à mal faire, une grande partie à ne rienfaire, toute la vie à ne pas penser à ce que l’on fait. »

« Le bon juge condamne le crime sans condamner le criminel. »

« L’essentiel est l’emploi de la vie, non sa durée. »

« La mort est bien lourde pour celui qui meurt trop connu des autres maisinconnu de lui-même.  »

« L’erreur est aussi grande de se fier à tous que de se défier de tous. »

Portraits :

Sénèque est le représentant le plus complet de la doctrine stoïcienne*, bien qu’il ne soit pas jugé comme le plus exact, car il n’est pas un simple interprète. Sur plus d’un point il s’émancipe et substitue à l’autorité des maîtres de la Grèce sa propre réflexion. En cela, on a pu juger qu’il était bien un Romain, « Je ne me suis fait l’esclave de personne, je ne porte le nom de personne ». (« Non me cuiquam mancipaui, nullius nomen fero. »).

* Doctrine stoïcienne : 

Le stoïcisme est la doctrine la plus en accord avec le concept de cosmos. Pour les stoïciens, il est primordial d’essayer de vivre en harmonie avec l’univers, avec la Nature; et pour cela, il faut faire une distinction fondamentale entre choses extérieures et choses intérieures. Tout ce que l’homme ne domine pas, tout le monde extérieur auquel il ne peut rien, il doit le prendre comme tel et non comme il voudrait qu’il soit. L’homme doit accepter l’univers tel qu’il est et se contenter de régler ce qui dépend de lui.

Une telle doctrine est issue d’un constat simple : il ne sert à rien de se lamenter de ce que l’on ne peut pas changer. Autrement dit, le malheur ne peut venir que de l’âme et le mal ne peut être que moral (ce sont bien des disciples de Socrate). Ainsi, cesser d’être malheureux pour des choses auxquelles on ne peut rien changer signifie atteindre l’ataraxie.

Il faut savoir distinguer ce qui ne dépend pas de soi, sur lequel il ne faut donc surtout pas s’attarder, et ce qui dépend de soi, sur lequel on peut travailler. L’homme doit accepter l’univers tel qu’il est, sa place en son sein, et ensuite agir le mieux possible. C’est à la fois une philosophie du destin (tout ce qui arrive à l’extérieur devait nécessairement arriver) et une philosophie de la liberté intérieure (je peux modifier mes propres jugements, mes comportements).

Une première citation explique très bien un tel état d’esprit : « Ce ne sont pas les événements qui attristent les hommes, mais les jugements qu’ils portent sur eux. » – Epictète. Si un parent meurt, c’est ainsi, je ne peux rien y faire, il ne sert donc à rien de m’en attrister, car cela ne changera rien. Je dois prendre cela comme relevant du cosmos, je n’y peux rien et ne dois donc pas m’en attrister. Ce n’est pas l’événement en lui même qui peut m’apporter le malheur, mais le jugement que je porte sur cette mort.
En revanche, tant qu’il n’est que malade et qu’il n’est pas encore mort, je dois tout faire pour le soigner et le sauver, car cela dépend de moi.

Ainsi, cette sagesse ** se décline en trois éléments :
-savoir distinguer ce qui dépend de soi et ce qui ne dépend pas de soi
-savoir être indifférent aux événements extérieurs auxquels on ne peut rien changer
-savoir agir au mieux dans le domaine de ce qui dépend de soi

Une excellente illustration de la doctrine est la métaphore du jeu de cartes.
La vie est comme un jeu de cartes : on ne décide pas des cartes que l’on reçoit, cela ne dépend pas de soi mais du hasard, de l’ordre universel de la nature. En revanche, une fois les cartes en main, il faut faire le mieux possible avec ces cartes là; notre devoir est de donner le meilleur possible avec cette combinaison de cartes. De même pour les stoïciens, une loi immuable gouverne le monde (les dieux ou la Nature). Il dépend de nous de suivre ou non cette loi et de jouer bien ou mal le rôle qu’elle nous attribue. Mais il ne dépend pas de nous de la changer.

**Différence entre stoïcisme et bouddhisme :voir cet article intéressant : Stoïsisme VS Bouddhisme

Longtemps avant Sénèque, la religion ancienne était tombée en désuétude : il n’y avait sans doute pas à Rome un esprit éclairé qui acceptât les fables du polythéisme ou les pratiques de superstition empruntées aux cultes de l’Orient. Sénèque méprise profondément toutes ces puérilités. Il est fort regrettable que nous ayons perdu son ouvrage sur la superstition, dont Lactance et Augustin d’Hippone ont tiré tant d’arguments contre le polythéisme.

La théologie des poètes lui paraît également absurde et irrévérencieuse. Quant aux pratiques superstitieuses, il les condamne en deux mots : elles substituent à l’amour la crainte ; au lieu d’être un culte, elles sont un outrage. Mais la religion est alors une institution de l’État, institution nécessaire, et que maintenaient des hommes comme Cicéron et Varron. Sénèque s’occupe peu du polythéisme officiel : de son temps la religion, comme tous les aspects de la vie romaine, était dans la main d’un seul, et elle avait perdu beaucoup de son importance comme instrument politique. Cependant il approuve que le sage se soumette aux prescriptions de la cité, non qu’il les regarde comme agréables aux dieux, mais parce qu’elles sont ordonnées par la loi.

Reste la théologie naturelle, c’est-à-dire la religion du philosophe : en quoi consiste-t-elle ? Sénèque emploie indifféremment, en parlant de la puissance divine, le singulier et le pluriel, Dieu et les dieux : c’est peut-être par un reste de respect pour la croyance populaire. Car pour lui, il n’y a manifestement qu’un seul Dieu. Mais ce Dieu se présente pour ainsi dire à l’esprit sous une foule d’aspects différents : de là les noms divers qu’il a reçus et cette espèce de fractionnement de la puissance divine en une foule d’êtres divers.

« Tout nom que vous voudrez lui donner s’appliquera merveilleusement à lui, pourvu que ce nom caractérise quelque attribut, quelque effet de la puissance céleste. Dieu peut avoir autant de noms qu’il est de bienfaits émanant de lui. »

Ainsi se justifient ces noms de Jupiter, de Liber, d’Hercule, de Mercure, etc. Mais il ne s’arrête pas là, il consent encore à ce qu’on donne à Dieu des noms plus larges.

« Voulez-vous l’appeler nature ? Vous ne vous tromperiez point ; car c’est de lui que tout est né, lui dont le souffle nous fait vivre. Voulez-vous l’appeler monde ? Vous en avez le droit. Car il est le grand tout que vous voyez ; il est tout entier dans ses parties, il se soutient par sa propre force. »

On peut encore l’appeler destin, « car le destin n’est pas autre chose que la série des causes qui s’enchaînent, et il est la première de toutes les causes, celle dont dépendent toutes les autres. », « Qu’est-ce que Dieu ? L’âme de l’univers. Il échappe aux yeux, c’est la pensée seule qui peut l’atteindre. »

Toutes ces définitions sont plus ou moins empruntées au stoïcisme scientifique. Mais Sénèque va bien au-delà. Ce dieu, destin, nature, monde, est pour ainsi dire transcendant et immanent à l’univers ; il est entièrement présent en toutes ses parties, pourtant il le domine, il le gouverne, il le conserve, il a souci de l’homme, parfois même de tel ou tel homme en particulier (Interdum curiosi singulorum.) Il a prodigué au genre humain d’innombrables bienfaits, et l’ingratitude ne peut en borner le cours. Du reste Dieu est forcé par sa nature d’être bienfaisant : la bienfaisance est comme la condition de son être.

Quel culte réclament les dieux ?

« Le premier culte à leur rendre, c’est de croire à leur existence, puis de reconnaître leur majesté, leur bonté, sans laquelle il n’y a pas de majesté, de savoir que ce sont eux qui président au monde, qui gouvernent l’univers par leur puissance, qui sont les protecteurs du genre humain. »

« Ils ne peuvent ni faire ni recevoir une injustice. »

Donc ne cherchez pas à vous les rendre favorables par des prières, des offrandes, des sacrifices. « Celui-là rend un culte à Dieu qui le connaît. » (Deum coluit qui novit.)

Il serait difficile de tirer de toutes ces définitions une théodicée logique et Sénèque ne l’a jamais essayé. Il a des aspirations très hautes, et comme le sentiment du divin en lui ; mais jamais sur ce point ses idées n’ont pris cette précision rigoureuse qu’exige la science. Cette sorte d’enthousiasme religieux est exprimée dans ce passage :

« En vain élèverez-vous les mains vers le ciel ; en vain obtiendrez-vous du gardien des autels qu’il vous approche de l’oreille du simulacre, pour être mieux entendu : ce Dieu que vous implorez est près de vous ; il est avec vous, il est en vous. Oui, Lucilius, un esprit saint réside dans nos âmes ; il observe nos vices, il surveille nos vertus, et il nous traite comme nous le traitons. Point d’homme de bien qui n’ait au-dedans de lui un Dieu. Sans son assistance, quel mortel s’élèverait au-dessus de la fortune ? De lui nous viennent les résolutions grandes et fortes. Dans le sein de tout homme vertueux, j’ignore quel Dieu, mais il habite un Dieu. S’il s’offre à vos regards une forêt peuplée d’arbres antiques dont les cimes montent jusqu’aux nues, et dont les rameaux pressés vous cachent l’aspect du ciel ; cette hauteur démesurée, ce silence profond, ces masses d’ombre qui de loin forment continuité, tant de signes ne vous annoncent-ils pas la présence d’un Dieu ? Sur un antre formé dans le roc, s’il s’élève une haute montagne, cette immense cavité, creusée par la nature, et non par la main des hommes, ne frappera-t-elle pas votre âme d’une terreur religieuse ? On vénère les sources des grandes rivières, l’éruption soudaine d’un fleuve souterrain fait dresser des autels ; les fontaines des eaux thermales ont un culte, et l’opacité, la profondeur de certains lacs les a rendus sacrés : et si vous rencontrez un homme intrépide dans le péril, inaccessible aux désirs, heureux dans l’adversité, tranquille au sein des orages, qui voit les autres hommes sous ses pieds, et les dieux sur sa ligne, votre âme ne serait-elle pas pénétrée de vénération ? Ne direz-vous pas qu’il se trouve en lui quelque chose de trop grand, de trop élevé, pour ressembler à ce corps chétif qui lui sert d’enveloppe ? Ici le souffle divin se manifeste. »

En examinant de près les œuvres de Sénèque, nous pouvons nous faire une idée plus précise de ce qu’est son Dieu.

C’est l’homme, non l’homme vulgaire, mais celui qu’il appelle le sage. Celui-là en effet est non seulement placé sur la même ligne que les dieux, mais il leur est supérieur :

« Le sage ne diffère de Dieu que par la durée. (Bonus tempore tantum a Deo differt.) »

Si Dieu est exempt de toute crainte, le sage aussi. Si Dieu est affranchi de la crainte par le bienfait de sa nature, le sage a l’avantage de l’être par lui-même :

« Supportez courageusement ; c’est par là que vous surpassez Dieu. Dieu est placé hors de l’atteinte des maux, vous, au-dessus d’eux. »

C’est là le point par lequel la philosophie religieuse de Sénèque se noue à sa philosophie morale. La métaphysique chez lui tient fort peu de place ; il raille ceux qui s’occupent de ces chimères. A-t-on le loisir de poursuivre la solution de ces questions oiseuses ? Les malheureux nous appellent (ad miseros advocalus es). C’est de l’homme qu’il faut s’occuper ; c’est lui qu’il faut affermir, consoler, encourager. Que de misères pesaient alors sur lui ! que de dangers l’environnaient ! Il fallait tremper fortement les âmes, les armer contre toutes les terreurs ; et puisque les dieux semblaient morts ou indifférents aux choses humaines, puisqu’ils toléraient les épouvantables désordres qui s’étalaient alors, et que de ce côté l’innocence et la vertu ne pouvaient espérer un appui, il fallait élever l’homme lui-même à une telle hauteur, qu’il pût braver ou mépriser toutes les misères, tous les périls, tous les ennemis, tous les Césars, tous les bourreaux.

Voilà le stoïcisme romain : sous les empereurs les cieux sont vides, les dieux sont partis, ou ils sont favorables aux scélérats ; l’homme de cœur se fera Dieu. Il tendra vers une vertu parfaite, âme inaccessible à toute passion, sévère, grave, inébranlable. C’est l’idéal qui semble hanter alors toutes les imaginations. En effet, selon le vers célèbre deLucain : « Victrix causa Diis placuit, sed victa Catoni. » Caton est supérieur aux dieux. Conception démesurée, étrange, d’un orgueil colossal, expression de la force d’une âme noble, qui est soutenue par une telle vénération d’elle-même.

Socrate Philosophe grec (-470 à -399)


BIOGRAPHIE DE SOCRATE

 ‘Connais-toi toi-même’

Fils d’un artisan sculpteur et d’une sage-femme, Socrate a très tôt été attiré parles questions morales.Citoyen exemplaire, il s’oppose à la démagogie qui règne alors àAthènes. Dans des discussions qu’il dirige en maître avec les habitants de la ville, il pousse chacun à dépasser le niveau des vérités de sens commun et à partir en quête de la connaissance vraie. De plus, puisque l’ignorance mène à l’injustice, il tente d’abolir la séparation entre la raison et la recherche du Bien, contrairement aux sophistes et aux défenseurs de la rhétorique. Insoumis au tyran Citrias, Socrate refuse de fuir la ville à la suite de son procès et boit lui-même la ciguë qui le condamne. De ses dialogues, il ne reste aucune trace écrite. C’est grâce à deux de ses élèves,Platon et Xénophon, que l’on connaît la pensée de Socrate, fondatrice de la réflexion philosophique.

La philosophie de Socrate est basée sur la discussion, l’art d’accoucher les esprits (la maïeutique) qui conduit l’interlocuteur à découvrir la connaissance vraie qu’il porte en lui. Socrate en jouant d’ironie (de fausse naïveté) et en posant d’habiles questions, laisse son interlocuteur s’enfermer dans ses contradictions. Faisant semblant de les ignorer, il amène cet interlocuteur à prendre conscience de ses erreurs de jugement, d’où sa devise : « Connais-toi toi-même ». Socrate cherche à éveiller chez ses concitoyens le sens de l’autocritique qui est le point de départ de l’indépendance de l’esprit. Bien que confiant dans la nature humaine, il se montre très sévère envers les opinions publiques et toute forme de tyrannie.

L’insoumission, le refus de tout dogmatisme et le non-conformisme de Socrate suscitent beaucoup d’inimitiés chez les athéniens. Accusé d’impiété et de corrompre la jeunesse, il est condamné à mort par le tribunal populaire d’Athènes (l’Héliée). Respectueux des lois, il refuse l’évasion préparée par ses disciples et boit avec sérénité une décoction de ciguë, en devisant sur l’immortalité de l’âme, ainsi que l’a rapporté Platon.

Ayant dépassé la pensée des sophistes, Socrate est considéré comme l’un des pères de la philosophie occidentale et de la philosophie morale.

Citations de Socrate :

« Dans tous les cas, mariez-vous. Si vous tombez sur une bonne épouse, vous serez heureux ; et si vous tombez sur une mauvaise, vous deviendrez philosophe, ce qui est excellent pour l’homme. »

« La sagesse commence dans l’émerveillement. »

« Connais-toi toi-même. »

« Ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux. »

« L’homme est le seul des animaux à croire à des dieux. »

« Une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue. »

« Je ne suis ni Athénien, ni Grec, mais un citoyen du monde. »

« Le bonheur c’est le plaisir sans remords. »

« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »

« Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation. »

« N’oublie jamais que tout est éphémère, alors tu ne seras jamais trop joyeux dans le bonheur, ni trop triste dans le chagrin. »

«  L’âme déréglée est comme un tonneau percé à cause de sa nature insatiable. »

Portraits :

Dans Les deux sources de la morale et de la religion, Henri Bergson évoque un monde clos caractérisé par la raison et ses principales réalisations, la science et la technique et un monde ouvert dominé par le désir, par une aspiration à l’absolu qui est aussi une inspiration par l’absolu. Cette inspiration, conduisant au mysticisme enferme une large part d’irrationnel. Si raisonnable et rationnel qu’ait été Socrate, nous dit Bergson, il fut aussi un être inspiré.

«Certes, Socrate met au-dessus de tout l’activité raisonnable, et plus spécialement la fonction logique de l’esprit. L’ironie qu’il promène avec lui est destinée à écarter les opinions qui n’ont pas subi l’épreuve de la réflexion et à leur faire honte, pour ainsi dire, en les mettant en contradiction avec elles-mêmes. Le dialogue, tel qu’il l’entend, a donné naissance à la dialectique platonicienne et par suite à la méthode philosophique, essentiellement ration-nelle, que nous pratiquons encore. L’objet de ce dialogue est d’aboutir à des concepts qu’on enfermera dans des définitions; ces concepts deviendront les Idées platoniciennes; et la théorie des idées, à son tour, servira de type aux constructions, elles aussi rationnelles par essence, de la métaphysique traditionnelle. Socrate va plus loin encore; de la vertu même il fait une science; il identifie la pratique du bien avec la connaissance qu’on en possède; il prépare ainsi la doctrine qui absorbera la vie morale dans l’exercice rationnel de la pensée. Jamais la raison n’aura été placée plus haut. Voilà du moins ce qui frappe d’abord. Mais regardons de plus près. Socrate enseigne parce que l’oracle de Delphes a parlé. Il a reçu une mission. Il est pauvre, et il doit rester pauvre. Il faut qu’il se mêle au peuple, qu’il se fasse peuple, que son langage rejoigne le parler populaire. Il n’écrira rien, pour que sa pensée se communique, vivante, à des esprits qui la porteront à d’autres esprits. Il est insensible au froid et à la faim, nullement ascète, mais libéré du besoin et affranchi de son corps. Un « démon » l’accompagne, qui fait entendre sa voix quand un avertissement est nécessaire. Il croit si bien à ce « signe démonique » qu’il meurt plutôt que de ne pas le suivre: s’il refuse de se défendre devant le tribunal populaire, s’il va au-devant de sa condamnation, c’est que le démon n’a rien dit pour l’en détourner. Bref, sa mission est d’ordre religieux et mystique, au sens où nous prenons aujourd’hui ces mots; son enseignement, si parfaitement rationnel, est suspendu à quelque chose qui semble dépasser la pure raison. Mais ne s’en aperçoit-on pas à son enseignement même? Si les propos inspirés, en tout cas lyriques, qu’il tient en maint endroit des dialogues de Platon n’étaient pas de Socrate, mais de Platon lui-même, si le langage du maître avait toujours été celui que Xénophon lui prête, comprendrait-on l’enthousiasme dont il enflamma ses disciples et qui traversa les âges? Stoïciens, épicuriens, cyniques, tous les moralistes de la Grèce dérivent de Socrate, — non pas seulement, comme on l’a toujours dit, parce qu’ils dévelop-pent dans ses diverses directions la doctrine du maître, mais encore et surtout parce qu’ils lui empruntent l’attitude qu’il a créée et qui était d’ailleurs si peu conforme au génie grec, l’attitude du Sage. Quand le philosophe, s’enfermant dans sa sagesse, se détache du commun des hommes, soit pour les enseigner, soit pour leur servir de modèle, soit simplement pour vaquer à son travail de perfectionnement intérieur, c’est Socrate vivant qui est là, Socrate agissant par l’incomparable prestige de sa personne. Allons plus loin. On a dit qu’il avait ramené la philosophie du ciel sur la terre. Mais comprendrait-on sa vie, et surtout sa mort, si la conception de l’âme que Platon lui prête dans le Phédon n’avait pas été la sienne? Plus généralement, les mythes que nous trouvons dans les dialogues de Platon et qui concernent l’âme, son origine, son insertion dans le corps, font-ils autre chose que noter en termes de pensée platonicienne une émotion créatrice, l’émotion immanente à l’enseignement moral de Socrate? Les mythes, et l’état d’âme socratique par rapport auquel ils sont ce que le programme explicatif est à la symphonie, se sont conservés à côté de la dialectique platonicienne; ils traversent en souterrain la métaphysique grecque et reparaissent à l’air libre avec le néoplatonisme alexandrin, avec Ammonius peut-être, en tout cas avec Plotin, qui se déclare continuateur de Socrate. A l’âme socratique ils ont fourni un corps de doctrine comparable à celui qu’anima l’esprit évangélique. Les deux métaphysiques, en dépit de leur ressemblance ou peut-être à cause d’elle, se livrèrent bataille, avant que l’une absorbât ce qu’il y avait de meilleur dans l’autre: pendant un temps le monde put se demander s’il allait devenir chrétien ou néo-platonicien. C’était Socrate qui tenait tête à Jésus. Pour en rester à Socrate, la question est de savoir ce que ce génie très pratique eût fait dans une autre société et dans d’autres circonstances, s’il n’avait pas été frappé par-dessus tout de ce qu’il y avait de dangereux dans l’empirisme moral de son temps et dans les incohérences de la démocratie athénienne, s’il n’avait pas dû aller au plus pressé en établissant les droits de la raison, s’il n’avait ainsi repoussé l’intuition et l’inspiration à l’arrière-plan, et si le grec qu’il était n’avait maté en lui l’oriental qui voulait être. Nous avons distingué l’âme close et l’âme ouverte: qui voudrait classer Socrate parmi les âmes closes? L’ironie courait à travers l’enseignement socratique, et le lyrisme n’y faisait sans doute que des explosions rares; mais, dans la mesure où ces explosions ont livré passage à un esprit nouveau, elles ont été décisives pour l’avenir de l’humanité.» (HENRI BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 58e édition, 1948)