LE VENERABLE DAIGU RYOKAN
MOINE BOUDDHISTE ZEN SOTO
(1758-1831)
SA VIE, SES POEMES ZEN, SA CALLIGRAPHIE EXPOSENT LA REALITE D’UN EVEILLE.
Maître Ryokan est un modèle de moine bouddhiste Zen Soto accompli.
Maître Ryôkan est connu pour avoir composé des poèmes zen fondés sur le quotidien de sa vie d’ermite, mais on connaît peu chez nous la profondeur de ses enseignements bouddhistes. Sa maîtrise des poésies chinoise (kanshi) ou japonaise (waka) lui ont permis de produire plus de mille quatre cent quarante poèmes longs et courts (tanka) et de « haiku ».
Son nom d’ordination monastique « Ryôkan » 良寛 signifie « bon et tolérant » ce qui a été la ligne de conduite de sa vie. Le nom doctrinal « Daigu » 大愚 « grand naïf » donné lors de sa certification par son maître Kokusen est au sens positif de l’idéogramme GU 愚 : « celui qui prend les choses comme elles viennent et s’en satisfait à l’instar d’un nouveau-né. » Ce nom ne porte aucunement le sens péjoratif ou ridiculisant de « fou » ou « idiot » que lui donnent ceux qui ne connaissent pas la vie de ce grand sage.
Maître Ryôkan n’était pas fou du tout. Il était un vrai moine qui s’efforçait en son époque et dans sa région de suivre au plus près possible le mode de vie enseigné par le Bouddha Shakyamuni !
Maître Ryôkan était loin d’être un idiot. Il ne faut jamais perdre de vue qu’adolescent il a fait des études complètes, dont celles classiques de la langue chinoise. Puis au cours de ses seize années de monastère il a approfondi sa connaissance des textes bouddhistes. Il connaissait les sutras et en particulier il a commenté en poèmes le Sutra du Lotus. Il avait parcouru le Japon pour visiter les temples Soto Zen dépositaires des divers chapitres de l’œuvre de maître Dôgen – le Shôbôgenzô – qu’il a étudiés et recopiés de son propre pinceau.
Il doit son style didactique candide et léger au poète chinois Han Shan, un moine zen du VIIIe siècle qui lui a servi de modèle de vie. Comme ce dernier, Ryokan s’amusait de l’image d’idiot qu’on lui prètait. Il en profitait pour partager sa liberté d’éveillé. Son mode de vie était rare déjà à son époque. Il est fort peu courant en effet qu’un fils de bourgeois devenu moine abandonne les avantages de « chef des moines » (jap. shuso) au sein du clergé d’un grand temple. La succession manquée de son maître au temple Entsuji de Tamashima a été pour lui l’occasion de prendre sa liberté. Il n’avait pas pu prétendre à cette charge d’abbé car il était seulement en troisième position successorale et qu’il manquait en outre, selon le règlement, de quatre ans d’ancienneté.
Et avait-il vraiment le goût des responsabilités d’une charge ? L’aurait-il vu comme un obstacle au libre cours de son « aspiration à l’éveil » ? Les concessions sociétales d’un abbé d’un grand temple sont parfois des étouffoirs de l’ardeur à la discipline de la pratique et peuvent faire obstacle à la libération spirituelle (nirvana) dans le dénuement.
Quoi qu’il en soit, à partir de cette époque, il est retourné dans la région de sa ville natale Izumozaki dans la province d’Echigo (région de Niigata). Il y a vécu en ermite pendant trente ans sur le Mont Kugami dans le célèbre ermitage Gogoan, et aussi provisoirement au pied de cette montagne dans un entrepôt du sanctuaire shintoïste Otogo.
La qualité de sa calligraphie révèle sous son pinceau l’innocence de son coeur, sa candeur et son lâcher-prise de l’ego, développés en lui par le libre-cours donné à la perfection de sagesse et la compassion.
Être dans les toutes petites chosesun nouveau livre sur Ryokan, par Dominique BlainIl y a quatre ans, Dominique Blain, moine zen, s’est glissé dans la peau de Ryokan, célèbre ermite, moine zen et poète de la fin de la période Edo. Le résultat, Ryokan, L’oublié du monde, sortira en novembre 2007 chez éditions Les Deux Océans. Zen Road a parlé avec l’auteur de son œuvre et de sa pratique.
Dominique Blain : C’est quelqu’un qui, pour moi, représente la plus belle intelligence de l’homme. C’est un simple moine, ermite, mendiant, libre de tout. Il n’enseigne pas par les paroles usées des anciens textes. Son enseignement est vivant. Il joue avec des enfants, et sa vie va toujours vers l’essentiel. C’est quelqu’un qui ne fait pas de compromis, qui se dépouille de lui-même, avec un esprit sans dualité, un esprit d’enfant. Je trouve ça très beau.
DB : Je fais parler le personnage. Je le présente, il parle et il y a des textes de lui. Le but c’était de totalement se mettre dans la peau de Ryokan — c’est très difficile. Il faut lire énormément, s’imprégner de l’homme, c’est ce qui m’intéresse dans l’écriture : me mettre à la place des personnes. En lisant les livres, petit à petit je me suis imprégné de lui, et je l’ai fait parler. Je me suis lancé en essayant de ne pas trop le trahir, et, comme lui, de me dépouiller pour vivre le personnage en lui-même, à travers l’écriture.
DB : Il y a déjà pas mal de livres sur Ryokan ; mais j’étais un peu frustré, parce qu’à chaque fois que j’en lisais un, je me disais qu’il y avait une facette de l’homme, mais pas l’ensemble de sa personnalité. Le seul livre qui existe sur Ryokan « en entier » c’est un livre purement historique, ce sont des dates avec des choses que Ryokan a faites ; mais je n’y ai pas trouvé le charme de la poésie du personnage. Il n’existe pas de livre où l’on retrace toute la vie de Ryokan avec ses textes essentiels. Donc, dans mon ouvrage, je voulais mettre de la poésie puisqu’il était poète, mettre ses textes qui me semblaient essentiels et retracer sa vie d’une façon agréable à lire.
DB : La pratique est essentielle. Le fait de faire zazen et d’entendre. Il y a tout l’enseignement de Philippe [Coupey] qui s’inscrit. Quand on entend un kusen [enseignement oral donné pendant zazen], ce n’est pas de la lecture comme on lit un livre. C’est un enseignement qui est véhiculé, pas seulement à travers un état d’esprit, mais également à travers la voix, le son, les os, la chair, le sang ; bref une présence. C’est tout ça que le maître véhicule, ce n’est pas simplement quelque chose d’intellectuel. Cela s’inscrit en nous pendant zazen, qu’on le veuille ou non et par la suite, cela se transmet dans l’écriture. C’est également tout une vie, tout un « karma » que je trimballe depuis que je suis tout jeune, bon ou mauvais. C’est du concret. Tu mets obligatoirement ce que tu es, ce que tu ressens dans ce que tu dis ou ce que tu écris.
DB : La grande surprise, c’était qu’à force de me mettre dans la peau du personnage de Ryokan, je suis tombé amoureux de Taishin ! Elle m’a totalement fait fantasmer. Ryokan a 70 ans, il tombe amoureux de Taishin, qui a autour de 40 ans, et il vit cet amour passionnel avec cette femme. On ne sait pas du tout s’il a consommé ou pas, ce n’est pas la question ; mais ils semblent avoir eut une relation passionnelle jusqu’au bout, jusqu’au dernier jour. Ils s’écrivent des poèmes magnifiques qui sont repartis dans le livre. Autrement, la chose qui m’a le plus marqué chez Ryokan, c’est qu’en fait c’est un homme qui n’enseigne pas. C’est sa vie qui enseigne. Il transpire le zen, il transpire la Voie. Ce qui m’intéresse, c’est « la vie » comme dirait Deshimaru, ce n’est pas ce qui est marqué sur papier. Un enseignement intellectuel n’a aucun intérêt. Ce qui m’intéresse, c’est la chair des gens, c’est l’esprit des gens, c’est la souffrance des gens, la joie des gens, ce n’est pas une objective de dépassement de soi. Ce qui m’intéresse, c’est ce que les gens vivent tous les jours, et Ryokan, c’est ça : c’est la vie de tous les jours, c’est jouer avec les enfants, c’est rencontrer les gens sur le pas de la porte et discuter de tout et rien.
DB : Oui oui. Pour moi, le zen est une façon d’être dans les toutes petites choses. On peut dire, « Tiens, je vais sauver le monde, » ou « je vais aller aider les gens en Afrique » — c’est très très bien, je ne critique pas du tout. Mais dans les petites choses de tous les jours dans la vie, on a constamment l’opportunité de mettre en pratique l’enseignement de Philippe, l’enseignement zen. Je prends un exemple tout bête : rentrer dans un magasin et dire bonjour. Ou, quelqu’un qui est pressé : laisser passer. Ça paraît anodin, mais c’est totalement ça. À chaque instant on doit faire attention pour respecter à la fois les autres et soi-même. Donc à chaque minute de la vie, on peut faire attention à ce qu’on est et comment essayer de vivre en harmonie avec les autres. Pour moi, le zen c’est ça, c’est l’essentiel. Extraits du livre Ryokan, L’oublié du monde,
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