Lao Tseu environ (de 570 à 490 av.J-C)

Le Livre de la Voie et de la Vertu ou Dao De Jing que la tradition lui attribue est un texte majeur du taoïsme, considéré comme important par d’autres courants également. Lao Tseu est considéré par les sectes taoïstes comme un dieu (Taishang Laojun 太上老君 « Suprême seigneur Lao ») et comme leur ancêtre commun.

L’image la plus courante de Lao Tseu en fait un personnage extraordinaire. Conçu miraculeusement par le passage d’une comète ou l’ingestion par sa mère d’une prune (li, nom de famille qui lui est généralement attribué) magique, il naît avec des cheveux blancs et une barbe, d’où son surnom d’ancien (lao), et des oreilles aux lobes très longs, signe de sagesse. Archiviste à la cour des Zhou et contemporain de Confucius qui le reconnaît comme un maître et un être extraordinaire, il finit par quitter le pays âgé d’au moins 160 ans, lassé des dissensions politiques. Il part vers l’ouest monté sur un buffle ; arrivé à la passe qui marque la frontière, il rédige le Livre de la Voie et de la Vertu à la demande du gardien Yin Xi puis continue son voyage. Personne ne sait alors ce qu’il devient, mais certains pensent qu’il ne meurt pas ou qu’il se réincarne, reparaissant sous différentes formes pour transmettre le Dao5.

Théories sur le personnage

Dans sa pensée, n’oublions pas que le sage reste en retrait, comme debout dans la pénombre. En suivant cette logique, on serait en droit d’estimer que, il aurait pu changer de nom à plusieurs reprises, dans le but délibéré de jeter une confusion permanente sur son existence. Selon l’endroit où il se trouvait, il pouvait y être connu sous un ou plusieurs noms différents. Ce qui, aujourd’hui, bien sûr, met un voile d’obscurité sur l’historicité du personnage, les sources citant divers noms pour, probablement sans le savoir, la même personne. L’usage de plusieurs noms pour une même personne, en Chine, étant à l’époque une pratique généralisée et même traditionnelle. Il y a le nom à la naissance, le prénom social, le «Hao», l’interdiction d’appeler un aîné par son prénom à la naissance. L’introduction de particule devant le nom, par exemple, si quelqu’un semble être plus âgé que quarante ans, on doit placer «Lao» soit devant le nom de famille, soit devant le prénom social ou encore le «Hao». En admettant que le prénom social de Lao Tseu soit Dan, et qu’il semblait à l’époque avoir plus de quarante ans, on devrait donc dire «Lao Dan», et il pourrait s’agir du même personnage dont le nom personnel, qui à cause de son âge devenu tabou, soit effectivement Li Er, et les noms «Laolaizi» et « Lao Zi » (possiblement un diminutif de Laolaizi) aurait pu être le nom que lui affublaient ses disciples directs. Comme prononcer le nom personnel d’un aîné était tabou, on peut convenir ignorer comment le nom Li Er est venu aux «oreilles» de Sima Qian.

Le paradoxe de Lao Tseu

En effet, réel ou fictif, le personnage Lao Tseu a réellement existé, même s’il n’a pas existé réellement sous ce nom ou sous un nom d’emprunt comme c’était d’usage à l’époque. Puisque c’est probablement un nom en lien avec un personnage de légende, ayant eu cours au temps de Printemps et Automnes que le personnage ayant inspiré le pseudonyme a existé ou non, n’a que peu d’importance. En effet, si le personnage n’a pas existé, mais que l’œuvre qui lui est attribuée existe bien, alors on se retrouve en plein paradoxe. Premièrement, il est possible qu’il ait écrit l’œuvre lui-même (Lao Tseu). Deuxièmement, il est possible que le Daodejing ait été écrit à titre posthume par un disciple direct. Troisièmement, l’auteur voulant valoriser son œuvre décide de prendre un pseudonyme en lien avec un personnage dont la sagesse faisait autorité. Dans cette troisième alternative, on est renvoyé à la notion même de paradoxe. Puisque l’auteur (anonyme) a pris le pseudonyme du sage reclus, et ce même s’il n’a pas vécu, ayant pris son nom, il devient donc faux de dire qu’il n’a pas vécu. Quatrièmement, il est possible qu’il ait écrit l’œuvre lui-même et que, dans une époque où les auteurs ne signaient pas leurs œuvres de leurs propres noms, il l’ait fait dans le but de jeter un doute dans l’esprit des générations futures. Cette quatrième hypothèse, nous ramène encore à la notion de paradoxe. Étant donné que, il signe son propre nom, dans le but que l’on anticipe qu’il n’est pas l’auteur, bien qu’il soit l’auteur. Enfin, dans le Daodejing, le concept de paradoxe revient fréquemment, alors on ne doit pas se surprendre de nager en plein paradoxe.

Lao Tseu dans le taoïsme religieux

Parallèlement au Lao Tseu historique proposé par les historiens Han, un Lao Tseu religieux apparait dans d’autres sources, comme le Liexianzhuan (列仙傳) qui le compte au nombre des immortels. Depuis la fin des Royaumes combattants, il est avec le souverain mythique Huangdi l’un des personnages centraux du courant huanglao, important jusqu’au début des Han. À l’origine philosophique et politique, ce courant aurait pris un tour plus religieux quand il fut évincé par le confucianisme. On trouve des témoignages de la divinisation de Lao Tseu dès le règne de l’empereur Huandi (r. 146-168), qui lui rend un culte. En 153, Wang Fu (王阜), préfet de la région de Changsha, fait dresser une stèle dédiée à Lao Tseu sur laquelle celui-ci est identifié au Dao originel ; vers la même époque, le lettré Bian Shao (邊韶) déclare que Lao Tseu est un immortel, maître des sages de différentes époques à travers ses métamorphoses. Dans le Bianhua wuji jing (變化無極經) des Han orientaux, Lao Tseu, identifié au Dao, se donne naissance à lui-même et prédit son retour sous une de ses métamorphoses dans une perspective millénariste.

Il est l’un des quatre grands dieux de la secte des Cinq boisseaux qui émerge à la fin du iie siècle et exige de ses adeptes la récitation régulière du Dao De Jing. Le courant desMaîtres célestes issu des Cinq boisseaux contribuera fortement à répandre l’image divine de Lao Tseu et à enrichir sa légende. Sous les noms de Vénérable céleste du Dao et de la Vertu (道德天尊) ou Pur du faîte suprême (太清), il est devenu l’un des Trois Purs, divinités principales des grandes écoles taoïstes modernes. Encore appelé Suprême seigneur Lao (太上老君) ou Empereur de l’origine mystérieuse (玄元皇帝), il apparaît sous des formes diverses au fil des siècles pour guider les fidèles. Dans les temples, son effigie est à la droite du trio des Trois Purs ; il a la barbe et les cheveux blancs et tient en main un éventail.

Dans L’Explication ésotérique des trois cieux (Santian neijiejing 三天內解經) (~420), un texte des Maîtres célestes, Lao Tseu connaît une triple naissance : en tant que divinité, en tant que Laozi historique, puis en tant que Bouddha. En effet, le taoïsme religieux, confronté au iiie siècle au développement du bouddhisme en Chine, a tenté un rapprochement audacieux entre ce personnage parti en pays barbare et le Bouddha qui serait son incarnation ou parfois son élève. Wang Fu (王浮), membre des Maîtres célestes, expose à la même période cette opinion dans La conversion des Barbares par Lao Tseu (Laozihuanhu 老子化胡), ouvrage qui sera régulièrement repris et enrichi jusqu’au xive siècle où les prétentions de voir Lao Tseu dans le Bouddha seront définitivement rejetées.

Les empereurs de la dynastie Tang (618-907), dont le nom de clan était Li, acceptèrent volontiers de se considérer comme ses descendants lorsqu’ils firent du taoïsme leur religion officielle et de l’honorer comme Shengzu (聖祖) « Saint ancêtre ». L’empereur Gaozong (r. 649-683) lui accorda le titre de « Suprême empereur céleste du mystère originel » (太上玄元天帝).

Le Lao Tseu divin a un aspect hors du commun. Ge Hong le décrit ainsi : peau jaune clair, oreilles longues, grands yeux, dents écartées, bouche carrée aux lèvres épaisses, quinze rides sur un front large qui porte aux coins la forme de la lune et du soleil. Il a deux arêtes de nez et trois orifices à chaque oreille, et les dix lignes des êtres d’élite marquent ses paumes.

Les circonstances de sa naissance sont également extraordinaires : sa mère, qui l’aurait conçu en apercevant une comète ou un dragon volant alors qu’elle était assise sous un prunier – d’où son nom de famille Li – l’aurait porté pendant huit ou quatre-vingt-un ans. Lorsqu’il naquit avec les cheveux blancs – origine pour certains du nom Lao (vieux) – une comète apparut dans le ciel et neuf dragons sortirent de terre pour le baigner. C’est ce dernier détail, joint au fait que selon Bian Shao, son lieu de naissance se situait au confluent des rivières Guo et Gu et sur la rive yáng de la Guo, qui a encouragé la ville de Guoyang à postuler la place de lieu de naissance du sage. Il y existe en effet un site appelé « Puits des neuf dragons » qui daterait des Printemps et des Automnes.

Citations :  

« Celui qui se conduit vraiment en chef ne prend pas part à l’action. »

« Le sage peut découvrir le monde sans franchir sa porte. Il voit sansregarder, accomplit sans agir. »

« Celui qui excelle à employer les hommes se met au-dessous d’eux. »

« Plus le sage donne aux autres, plus il possède. »

« Savoir se contenter de ce que l’on a : c’est être riche. »

« Quand la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre. »

« Imposer sa volonté aux autres, c’est force. Se l’imposer à soi-même, c’estforce supérieure. »

« Les hommes sont différents dans la vie, semblables dans la mort. »

« Rendre le bien pour le bien et le bien pour le mal, c’est la bonté efficace. »

« Le sage sans jamais faire de grandes actions, accomplit de grandeschoses.  »

« Plus on va loin, moins on apprend. »

« Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. Le sageenseigne par ses actes, non par ses paroles. »

« L’être qu’on peut nommer n’est pas l’être suprême.  »

« Trop loin à l’est, c’est l’ouest. »

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